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la belle de carillon

ses rangs, on put voir d’affreux lambeaux de chair accrochés aux pointes terribles.

Cependant, la troisième colonne envoyée par Abercromby pour assaillir l’aile droite de l’armée française, que commandait M. de Lévis, ne fut pas plus heureuse. Après avoir beaucoup souffert du feu des batteries françaises, elle fut prise en flanc par trois bataillons de grenadiers et un bataillon de sauvages, et par crainte d’être anéantie, cette troisième colonne retourna en désordre à ses positions près des bois du Lac Saint-Sacrement.

C’étaient trois engagements gagnés successivement par Montcalm, et ces succès avaient déchaîné par le camp français un enthousiasme sans pareil.

Un quatrième succès fut obtenu par les Canadiens du Capitaine Valmont et ceux de M. de Saint-Ours, lorsque, après s’être reformée, la première colonne était revenue à l’assaut des positions de M. de la Bourlamaque. Et cette fois elle fut plus mal éprouvée et laissa sur le terrain un grand nombre de cadavres.

Dans ce quatrième engagement les Canadiens avaient fait des prodiges de valeur, et ce fut au cours de ce choc que le capitaine Valmont fut blessé assez grièvement. Bertachou et M. de Saint-Ours lui conseillèrent de gagner le Fort pour s’y faire panser ; Valmont ne voulut pas suivre ces avis : il pansa lui-même ses blessures avec l’aide de Bertachou et reprit le commandement de ses miliciens.

Un répit s’était produit. Les Anglais remettaient de l’ordre dans leur armée avant de revenir pour tenter un nouvel assaut. Montcalm pensa bien que cette fois l’effort de l’ennemi serait terrible, mais il conservait toute sa confiance. Et il avait raison, car l’ennemi se trouvait déjà éclopé par les nombreuses pertes qu’il avait subies, et sa force et son nombre étaient moindres. Quant à l’armée de la Nouvelle-France, elle demeurait à peu près intacte : on comptait en tout, à ce moment-là, vingt blessés et deux morts. Toutefois, ces premiers avantages en faveur de l’armée française ne pouvaient être encore une assurance de victoire, car l’ennemi demeurait encore formidable, et c’est pourquoi aussi confiant en sa force que l’était Montcalm en sa faiblesse, Abercromby décida de lancer une nouvelle attaque et mieux ordonnée que les premières.

Cette fois, en effet, il lança ses troupes sur quatre colonnes, une contre chaque aile du camp français et deux contre le centre. Mais là, il n’y avait plus de musiques joyeuses en tête : les musiciens avaient été convertis en bûcherons. Deux mille cinq cents hommes pourvus de haches précédaient les colonnes dans les abatis. Les haches rognaient les pointes et rendaient ainsi la marche en avant plus facile. Oui, mais Montcalm faisait mitrailler les bûcherons, les bons tireurs canadiens dissimulés dans les ramures des arbres s’appliquaient de leur mieux et avec succès à abattre ces bûcherons. De sorte que leur nombre diminuait rapidement et bientôt les colonnes anglaises se verraient sans chemin frayé. Toutes les batteries françaises maintenaient un feu bien nourri, et l’on vit les quatre colonnes, osciller, reculer, revenir à la charge, hésiter, puis reculer encore et se briser. Après une heure en vaines tentatives pour atteindre les premiers ouvrages des Français, l’ennemi se retirait encore laissant dans les abatis un grand nombre de cadavres.

La joie éclatait bruyamment dans l’armée française, de son aile droite à son aile gauche. Au centre, le régiment du Languedoc entonna d’un chœur puissant un hymne à la Vierge, dont la bannière ne cessait de claquer dans le vent au-dessus des lignes. Puis ce furent des battements de tambours, des refrains joyeux, des airs de fifres à l’allure sautillante. Est-ce pressentiment de victoire ?

Pourtant, l’ennemi préparait en silence une autre attaque qui ne manquerait pas de semer un peu d’inquiétude dans la petite armée du général français.

Après avoir fait poster une trentaine de batteries aux abords des abatis, le général Abercromby commanda le feu, et aussitôt une avalanche de projectiles, boulets et bombes, déferla sur le camp français. Les boulets de fer mettaient en pièces les ouvrages défensifs des Français, tandis que les bombes mettaient le feu aux débris. Mais ce terrible bombardement qui dura une demi-heure sans ralentir n’entama point ni le courage ni la confiance de la petite armée : elle demeura bravement, fermement sur ses positions, réparant au fur et à mesure les dégâts, combattant les commencements d’incendie sous la pluie de fer. Là encore, Montcalm était inférieur