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la belle de carillon

aux Anglais par son équipement de pièces de campagne : celles-ci n’avaient pas la portée des autres, de sorte qu’il lui fut impossible de riposter et de chercher à faire taire les pièces anglaises.

L’ennemi croyait bien avoir chassé de ses retranchements toute l’armée de Montcalm, et de la cime d’un haut pin Abercromby essayait à l’aide d’une puissante lunette à voir ce qui se passait de l’autre côté des abatis ; mais la fumée des canons jointe à celle des incendies que les bombes allumaient ne lui permit pas de voir quoi que ce fût. Mais il dut s’imaginer que la petite armée du Canada n’avait pu tenir sous un tel feu, et il résolut d’y aller voir lui-même à la tête de ses troupes.

Il lança, en quatre colonnes, toutes ses forces, y comprises ses réserves, c’est-à-dire treize mille hommes… Lui-même marcha à la tête de la colonne qui s’avançait contre le centre du camp français. Maintenant, les anglais avançaient plus facilement et plus rapidement, car une partie du chemin avait été frayée par les « bûcherons ». Au reste, Abercromby se faisait encore précéder par mille haches. Mais cette fois encore l’ennemi ne put arriver jusqu’aux défenses françaises. Grâce à l’impétuosité des Canadiens, aux charges terribles des grenadiers français et aussi à la mitraille de Montcalm, l’ennemi fut refoulé avec de lourdes pertes…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Au cours d’une charge violente des Canadiens, le capitaine Valmont avait été plus gravement blessé, et, entre autres blessures, il avait reçu d’une hache ennemie une large taillade à la jambe droite. Sans la présence de Bertachou, Valmont serait tombé et peut-être aurait-il trouvé la mort dans les abatis. Mais Bertachou était là… Il enleva son capitaine et courut le mettre en lieu sûr dans les retranchements. Après l’affaire, Valmont fut transporté au fort pour être confié aux soins des chirurgiens que secondaient vaillamment Mme Desprès et sa fille. On déposa Valmont dans la salle d’armes convertie en infirmerie pour les officiers.

À la vue du capitaine apporté sur un brancard, Isabelle courut à lui.

— Oh ! Capitaine, s’écria-t-elle avec une visible angoisse, êtes-vous gravement blessé ?

— Je ne le pense pas, Mademoiselle, sourit Valmont malgré de grandes souffrances.

— Tant mieux, Capitaine, répliqua avec joie la jeune fille, il ne faut pas que vous mourriez !

Elle appela aussitôt un chirurgien qui, après avoir examiné la jambe, déclara :

— Une huitaine de jours, et la jambe ira comme avant !

Et il fit les pansements nécessaires.

Mais Valmont était très faible à cause d’une grande perte de sang. Tout de même il conservait son calme et son sourire à Isabelle qui demandait :

— Aurons-nous la victoire, Capitaine ?

— J’en suis sûr, Mademoiselle, parce que nos lignes sont impénétrables.

— Et aussi et surtout parce que la bonne Vierge nous prête son puissant appui… Ah ! que je suis contente !

— Cette victoire ne sera pas due seulement à la Vierge ; est-ce que vous vous n’aurez pas droit à votre digne part ?

La jeune fille sourit.

— Moi, Capitaine, je ne demande rien autre chose que notre armée soit victorieuse… et…

Elle se tut hésitante et rougissante.

Le chirurgien achevait ses pansements et disait :

— Rien de grave, mais il faudra des ménagements et des soins attentifs, Capitaine.

— Soyez tranquille, Monsieur, répondit Isabelle, je veillerai sur lui.

— Merci, dit Valmont. Pourtant je ne mérite pas plus qu’un autre vos soins dévoués.

— Mais moi, riposta Isabelle en riant doucement, je vous dois ces soins.

Il y avait dans ses yeux bleus pleins de tendresse un langage que Valmont finissait par comprendre clairement. Son cœur frémit d’une joie infinie. Sans savoir, il saisit subitement une main de la jeune fille et la serra avec force.

— Oh ! Isabelle… Isabelle… finissez, voulez-vous cette phrase « vous ne demandez que notre armée soit victorieuse et…

Alors de ses yeux lumineux, de ses lèvres humides et de chaque trait de son joli visage sembla découler un flot d’amour.

Les paroles n’étaient pas utiles, elles n’eussent rien ajouté à cette déclaration.

Oh ! oui, comme elle l’aimait lui…

Valmont ferma les yeux un moment, sous