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LA BESACE D’AMOUR

ture contre les bois, laissant ainsi plus de la moitié du chemin au cavalier qu’on voyait maintenant venir à franc étrier en deçà d’un tournant, et qui soulevait derrière lui un épais nuage de poussière jaune.

Pour plus de sûreté Anthyme arrêta sa jument.

De son côté le cavalier ralentit sa course, puis se rapprocha du cabriolet au petit trot. Il allait dépasser la voiture sans daigner regarder les occupants, lorsqu’une voix de femme prononça son nom, c’était Mlle  de Maubertin :

— Monsieur Flambard ! dit-elle avec surprise et joie.

Le cavalier arrêta net sa monture, aperçut les deux femmes sourit largement, enleva son feutre, s’inclina et dit :

— Que Dieu soit béni ! Madame… Mademoiselle… c’est bien moi, Flambard, bien vivant comme vous voyez ! Comme vous vous l’imaginez, je me rendais à votre habitation pour affaires de toute urgence. Je suis vraiment heureux de vous trouver.

Mme  de Ferrière tendit sa main au cavalier et dit :

— Ah ! brave Flambard, je suis bien contente de voir que vous avez accompli votre mission à Montréal sans accident.

— En effet, madame, je me porte à merveille. Seulement en arrivant à Québec ce midi, j’ai appris une nouvelle qui me cause quelque souci.

— Mon Dieu exclama la jeune fille avec inquiétude, est-ce une mauvaise nouvelle encore qui nous concerne ?

— Un peu, mademoiselle… Mais ne vous inquiétez pas outre mesure ; je pense qu’il y a moyen de parer rapidement à l’accident.

— Un accident ! fit Mme  de Ferrière avec surprise ; mais à qui donc cet accident est-il arrivé ?

— À un pauvre mendiant, madame, répondit Flambard avec un sourire singulier ; un pauvre mendiant qui s’appelle le père Achard !

— Le père Achard ?… Je le connais un peu, dit la jeune fille.

Flambard sourit davantage.

— Que lui est-il arrivé de fâcheux ? interrogea Mme  de Ferrière.

— On dit qu’il s’est mêlé d’émeute, madame…

— Ô mon Dieu ! s’écria Mme  de Ferrière, allez-vous me dire qu’il s’agit également d’un jeune clerc de notaire ?

Flambard eut un haut-de-corps de surprise.

— Quoi ! vous savez ?…

— Nous savons qu’il y a eu commencement d’émeute, et qu’un clerc de notaire, celui de maître Lebaudry d’où nous venons, a été arrêté et conduit prisonnier au Château Saint-Louis.

— Vraiment ? dit Flambard en retrouvant son sourire énigmatique. Et vous n’avez pas appris que le père Achard avait été arrêté en même temps que le clerc de notaire et conduit également au Château ?

— Seigneur ! fit Mme  de Ferrière, ce pauvre mendiant était donc lui aussi de l’émeute ?

— C’est-à-dire qu’il a voulu défendre le clerc, Jean Vaucourt, contre les attaques des gardes du Château, et il a été fait prisonnier.

— Pauvre malheureux ! murmura la jeune fille.

— Voilà, reprit Flambard, ce que m’a raconté le père Vaucourt. Alors, quand j’ai appris le malheur du père Achard, j’ai failli perdre la tête, et alors aussi avec la double mission que je me voyais sur les bras et qui me réclamait également et en même temps, j’ai décidé de me rendre auprès de vous.

— Mais en quoi peut bien nous concerner l’arrestation du mendiant ? demanda Mme de Ferrière avec curiosité.

Le sourire énigmatique de Flambard s’accentua :

— Madame… mademoiselle… répliqua-t-il, ce mendiant a un ennemi mortel, l’intendant du Château, monsieur le baron de Loisel et je connais assez ce baron pour savoir ou pour craindre un malheur au père Achard. J’ai le pressentiment que demain, avant l’aube nouvelle, le mendiant ne sera plus que cadavre, s’il passe la nuit au Château.

— Flambard, vous me faites peur !

— Pardonnez moi, madame ! Aussi ai-je résolu de faire sortir le père Achard du Château, et le plus tôt possible.

— Pensez-vous réussir ce projet audacieux ?

— Oui, madame, répondit Flambard avec conviction.

— En effet, sourit Mme  de Ferrière, je vous pense capable de sauver le père Achard. Néanmoins, avouez que vous risquez votre liberté, vous aussi, et votre vie peut-être.

— C’est fort possible, madame, répliqua Flambard avec indifférence.

— Mais cette liberté et cette vie, reprit gravement Mme  de Ferrière, ne les devez-vous pas à monsieur de Maubertin, comme vous nous en avez donné vous-même l’assurance, jusqu’à ce qu’il soit rentré en grâce auprès du roi ?

— C’est vrai, madame, je n’en disconviens pas, répondit tranquillement Flambard sans se départir de son sourire énigmatique.

Mme  de Ferrière et sa nièce regardèrent cet homme avec étonnement.

— Madame, Mademoiselle, reprit Flambard, je vous ai fait part de la mission que j’ai accomplie auprès du roi pour faire réhabiliter monsieur le comte, et je vous ai informées à mon arrivée en Canada, le 13 de ce mois, de ce que le roi m’avait dit et du mémoire qu’il m’a chargé de remettre à monsieur de Vaudreuil. Voilà qui prouve assez clairement que je ne néglige pas les affaires de monsieur le comte.

— Et vous ne nous avez pas dit où se trouvait en ce moment monsieur de Maubertin ? reprocha Mme  de Ferrière.

— Vous ne nous avez pas dit, Flambard, reprocha à son tour la jeune fille, si mon père vit encore ?

— Madame, mademoiselle, je vous ai dit que j’ignorais le domicile actuel de monsieur le comte, et j’ai dit ou du moins je n’ai pu vous assurer s’il était vivant ou trépassé, est-ce vrai ?

— Oui, mon brave Flambard, avoua Mme  de Ferrière avec un sanglot dans sa gorge.

La jeune fille, avec l’appréhension qu’un nouveau grand malheur l’avait frappée s’était mise à pleurer silencieusement. Les réticences de Flambard, le mystère dont il cherchait à envelopper ses allées et venues, commençaient de lui faire croire que son père, le comte de Maubertin, était mort… mort avant d’avoir été réhabilité par la cour de France. Et elle s’imaginait maintenant que Flambard, pour obéir à des instructions du comte avant son décès,