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LA BESACE D’AMOUR

faisait des démarches pour assurer l’existence de Mme de Ferrière et la sienne. Mais si son pauvre père était mort, pourquoi l’en tenait-on dans l’ignorance ? Elle eût préféré cent fois cette terrible nouvelle, plutôt que de vivre sans cesse dans l’incertitude et dans l’effroi.

Mais Flambard avait sans doute ses raisons ou ses instructions d’après lesquelles il agissait sans dévier de la voie qu’elles lui avaient tracée. Mais il devina les tourments qui assiégeaient cette douce et frêle créature ; il s’émut.

— Mademoiselle, dit-il, ne pleurez pas sur un malheur qui ne s’est pas encore produit, j’espère. Je peux vous assurer que votre père est encore vivant, qu’il ne cesse de penser à vous et qu’il souffre de ne pouvoir se rapprocher de vous et de vivre près de vous.

— Ah ! Flambard, répliqua la jeune fille en souriant d’ivresse, pourquoi ne m’avoir pas rassurée plus tôt ?

— Mademoiselle, dit gravement Flambard, ne me reprochez rien ; vous savez que je n’ai cessé d’être par monts et par vaux, et qu’il m’était impossible de vous donner une assurance que je ne possédais pas moi-même. Mais aujourd’hui cette assurance que vous me réclamez, je vous la donne.

— Flambard, mon cher Flambard ! s’écria Mme de Ferrière avec une joie exaltée, vous nous faites revivre ! Merci.

Flambard s’inclina, reprit son sourire et dit :

— Madame, nous perdons là beaucoup de temps, et ce temps est fort précieux. Je vous ai dit que j’avais deux missions également urgentes : l’une de me rendre sur-le-champ au Château Saint-Louis, l’autre de me rendre sans retard chez monsieur l’Intendant Bigot. Or, de ces deux missions, je considère que la première est la plus pressante. Mais la seconde étant également pressante, je désire vous demander s’il vous serait loisible d’accomplir pour moi la seconde mission.

— En quoi consiste cette mission ?

— Il s’agit d’une communication écrite, relative aux affaires de monsieur le comte, qu’il importe de remettre à monsieur Bigot ; cette communication m’a été confiée par monsieur de Vaudreuil.

— Où se trouve monsieur Bigot ? demanda Mme de Ferrière. Est-il à la ville, ou à son Château de Beauport ?

— On m’affirme qu’il se trouve en ce moment à sa demeure de la rue Saint-Louis.

— Et que contient cette communication relative à monsieur de Maubertin ?

— Je n’en sais rien, madame ?

— Elle est scellée ?

— Oui, madame.

— Vous êtes certain qu’il ne résultera aucun danger pour nous à accomplir cette mission ?

— Madame, répondit Flambard, je ne sais rien de cette communication ; néanmoins j’ai le pressentiment qu’elle ne pourra nuire aux intérêts de monsieur le comte.

— C’est bon, donnez Flambard !!

Celui-ci tira de sous sa veste une large enveloppe scellée aux armes du marquis de Vaudreuil et la tendit à Mme de Ferrière.

— Anthyme, commanda cette dernière, veuillez reprendre le chemin de la ville et nous conduire à la maison de monsieur Bigot !

— Merci, madame reprit Flambard. Maintenant, je suis tranquille. Et si vous permettez, je prendrai les devants afin d’être au Château le plus tôt possible.

— Allez, brave Flambard, allez à votre mendiant ; nous, nous allons chez monsieur Bigot.

Flambard s’inclina, tourna son cheval du côté de Québec et repartit au grand galop.

— Au revoir, Flambard ! cria la jeune fille.

Mais le cavalier disparaissait déjà dans un nuage de poussière.


CHAPITRE VI

UNE EXPLICATION


Pour expliquer le court entretien qui venait d’avoir lieu entre Mme de Ferrière sa nièce, Héloïse de Maubertin, et Laurent-Martin Flambard, et pour savoir qui était ce comte de Maubertin auquel s’intéressaient tant ces trois personnages, il est absolument nécessaire, pour la meilleure compréhension des événements qui vont suivre, de retourner de quelques années en arrière et de nous transporter aux Indes.

Après le traité d’Aix-la-Chapelle, en 1748, qui mettait fin à la guerre de la Succession d’Autriche, guerre durant laquelle tant de nobles gentilshommes français s’étaient distingués, le roi manda près de lui l’un de ces gentilshommes dont les mérites lui avaient été signalés plus spécialement : ce gentilhomme s’appelait le comte Adélard de Maubertin, né en Saintonge où il possédait un superbe domaine.

Pour récompenser les services de ce fidèle et vaillant soldat le roi Louis XV l’envoya aux Indes avec les pouvoirs d’un intendant-général. Après le poste de gouverneur-général, celui d’intendant était le plus envié, même de la haute noblesse. Aussi le comte fût-il très reconnaissant au roi de France de cette faveur inattendue. Le comte de Maubertin partit donc pour les Indes et alla établir sa demeure et l’administration de l’intendance à Pondichéry. Durant les six années qui suivirent, le comte justifia pleinement la confiance qu’avaient mise en lui le roi et ses ministres : son administration fut loyale et probe.

Mais la nature droite du comte devait nécessairement lui susciter des ennemis, après les envieux qu’avait fait sa nomination à ce haut poste ; et ces ennemis, très nombreux, se recrutaient dans le troupeau des aventuriers qui que fussent les moyens à leur disposition ou cherchaient à faire rapidement fortune, quels que les circonstances leur prêteraient. Au nombre de ces aventuriers se trouva un certain Lardinet, soi-disant originaire de la ville de Paris, qui, par on ne sait quelle influence, avait obtenu du duc de Choiseul une place de subalterne dans l’administration de l’intendance.

Ceci se passait en l’été de 1754.

À l’automne de la même année, la comtesse de Maubertin, qui était demeurée avec sa fille Héloïse à Paris, incapable qu’elle était de supporter le climat des Indes, tomba gravement malade. Le comte demanda un congé au roi et revint à Paris où peu après son arrivée la comtesse mourait. Le comte demeurait seul avec sa fille unique Héloïse. Comme sa mère, Héloïse ne pouvait endurer le climat des Indes. Le comte avait en province une sœur, veuve du chevalier de Ferrière, qui vivait retirée dans un petit domaine dont les revenus suffisaient difficilement à sa subsistance. Le