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LA BESACE D’AMOUR

ces sauvages indisciplinés, farouches, souvent sanguinaires, d’esprit changeant étaient difficiles de conduire au combat et plus difficile encore de maintenir en ordre de bataille. Il leur fallait des chefs en qui ils pussent avoir une extrême confiance, et cette confiance ne pouvait être acquise qu’en gagnant leur admiration par quelque beau fait d’armes, ou par une bravoure extraordinaire, ou encore par quelque originalité de caractère. Flambard était brave nous le savons ; mais si cette bravoure n’eût pas suffi pour lui attirer le respect des sauvages, il possédait justement l’originalité du caractère. En quelques jours il était maître de sa bande qui voyait en ce grand diable, fanfaron et gai luron, comme un envoyé du mystérieux Grand Esprit. D’un geste, d’un mot, Flambard aurait lancé ces « grands enfants » dans une fournaise ardente ! Aussi, durant le siège d’Oswégo ces bandes, toujours prêtes à lâcher leurs chefs dans les moments les plus difficiles, se montrèrent d’une bravoure, d’un courage et d’une endurance qui firent l’admiration des autres troupes et surtout celle de Montcalm, qui n’avait pas la moindre confiance dans les qualités guerrières des indigènes. Mais tout le mérite en revenait de droit à Flambard, mérite que ne lui avait nullement contesté le marquis de Montcalm.

Quant à Jean Vaucourt, ce n’était déjà plus ce jeune clerc de notaire en soutanelle noire que nous avons vu sur la rue Buade, à Québec faisant face aux épées nues de quelques gentilshommes, officiers et gardes ; c’était maintenant un vrai soldat. À l’énergie, le courage et l’audace qui formaient l’enveloppe de sa nature, il joignait maintenant la connaissance des choses de la guerre auxquelles s’ajoutait la science de l’escrime. À compter du jour où il avait quitté Québec, le 27 mai, jusqu’au siège d’Oswégo, le 10 août, Flambard n’avait pas perdu une occasion d’instruire son jeune ami sur l’art de manier une épée. Et Jean Vaucourt, de son côté avait profité du moindre loisir pour étudier des traités militaires, que lui avait procurés M. Rigaud de Vaudreuil qui s’intéressait à ce jeune homme. Aussi, devant Oswégo fut-il spécialement remarqué du marquis de Montcalm. C’est à Jean Vaucourt que revenait tout le mérite de la prise du premier fort, le fort dénommé Ontario. Après trois attaques infructueuses contre ce fort, le régiment dont faisait partie le jeune homme avait perdu ses principaux officiers ; deux avaient été tués et plusieurs autres avaient été gravement blessés. Les ponts que le régiment avait jetés sur la petite rivière avaient été mis en pièces par les canons du fort Ontario. Les troupes de Montcalm étaient débarquées sur la rive gauche de la rivière dans le dessein d’emporter en premier lieu le fort Oswégo, qui n’avait comme protection immédiate que le Fort George qui représentait une unité tout à fait négligeable. Mais l’on s’aperçut bientôt que la principale défense du fort Oswégo était le fort Ontario qui, élevé, comme nous l’avons dit, sur une forte éminence de la rive droite, lançait ses feux presque plongeants sur les Français et rendait Oswégo inabordable. Après plusieurs tentatives vaines et presque désastreuses, Montcalm avait ordonné qu’on mit en position plusieurs batteries pour en diriger les projectiles contre le fort Ontario. Ce plan réussit ; après trois heures de bombardement plusieurs brèches importantes avaient été pratiquées dans les murs du fort. Il réussit, mais ce succès fut complété par Jean Vaucourt qui, voyant ces brèches et devinant que l’ennemi perdait de ses forces, souleva l’impétuosité de son régiment et le lança à la nage, lui-même à la tête, vers la rive droite, vers le fort.

La garnison ennemie fit pleuvoir ses feux sur ces audacieux ; mais Jean Vaucourt et ceux qui le suivaient ne pouvaient plus être arrêtés dans leur élan. Ils se jetèrent contre une des brèches et, en dépit d’une pluie de feu et de fer, s’y maintinrent jusqu’à l’arrivée de renforts conduits par Rigaud de Vaudreuil qui, également, avait traversé la rivière à la nage. Le fort était tombé entre leurs mains, et le lendemain de ce jour glorieux la garnison du fort Oswégo, réduite à la moitié de son nombre décidait de se rendre.

Le marquis de Montcalm voulut récompenser sur-le-champ le vaillant Jean Vaucourt en l’élevant au grade de lieutenant.

Mais quand les troupes furent revenues à Montréal, le marquis de Vaudreuil, sur les instances de son frère, Rigaud, décerna à Jean Vaucourt un brevet de capitaine que le marquis de Montcalm s’empressa de ratifier.

Les troupes ayant été licenciées pour la durée de la moisson, Jean Vaucourt et Flambard prirent le chemin de Québec où ils arrivèrent sur la fin de septembre.

Flambard s’était largement réjoui des succès obtenus par son jeune ami, et il avait applaudi à la montée rapide en grade du jeune homme. Et il avait dit, quand ils étaient arrivés un matin en vue des murs de la cité :

— Comme ça, mon capitaine, si dorénavant les gardes et cadets de M. Bigot tentent de faire du pin-pan, ils vont justement trouver à qui ils ont affaire !…

Jean Vaucourt s’était borné à sourire.


CHAPITRE II

L’AFFREUSE DÉCOUVERTE


La première démarche de Flambard en arrivant à Québec fut de se rendre chez le comte de Maubertin, dont il n’avait pas eu de nouvelles depuis qu’il avait quitté la ville pour la frontière. Il voulut amener avec lui Jean Vaucourt. Le jeune capitaine accepta, mais il fut décidé qu’on irait tout d’abord rendre visite au père Vaucourt rue Sault-au-Matelot.

Lorsque le vieux eut appris les succès de son fils, et en voyant la transformation du jeune homme qui se posait devant lui avec une belle attitude guerrière, il oublia du coup tous ses malheurs et ses chagrins.

Son cœur fut inondé d’une telle joie qu’il manqua d’en mourir ; et peu à peu le vieillard parut rajeunir de plusieurs années.

Un peu après midi, Flambard et Jean Vaucourt montés, le premier sur son infatigable « mouron », le second sur une jolie jument baie, cadeau que lui avait fait M. Rigaud de Vaudreuil, prirent la route de la campagne vers l’habitation de Mme  de Ferrière où s’était retiré le comte de Maubertin.

Le pays n’offrait pas le même aspect qu’au mois de mai, alors que Flambard avait rejoint sur la route poudreuse le cabriolet de Mme  de