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LA BESACE D’AMOUR

— Pas encore, répondit le baron d’une voix sourde, parce que, avant de retourner en France j’avais ici une vengeance à compléter.

— Une vengeance, sourit ironiquement Marguerite, que vous ne réussirez pas à mettre à point. Le comte vit encore et pour vous il demeurera sans cesse une menace !

— Non… répliqua durement le baron, il ne me sera plus une menace, car il mourra !

— Il mourra… fit Marguerite avec incrédulité.

— Ainsi que sa fille !

— Sa fille aussi ?… Allons donc, monsieur, quel bénéfice retirez-vous de la mort de cette enfant innocente !

— N’importe ! Mais j’ai dit sa fille aussi ? Eh bien ! c’est sa fille d’abord, et ce sera lui ensuite ! Quant au bénéfice, je ne compte sur aucun : je veux frapper Maubertin au cœur !

— Mais elle est innocente ! s’écria Marguerite presque horrifiée par la haine cruelle de son père.

— Mais elle demeure pour moi un témoin dangereux, Marguerite, comprends-tu ? Et un témoin dont, toi, tu te fais la complice… Mais prends garde !

— Que parlez-vous de complicité ! s’écria Marguerite avec un émoi terrible.

— Prends garde, te dis-je, repartit le baron d’une voix rauque. Prends garde… je sais bien des choses et je prévois bien des événements qui t’apporteront de rudes désillusions !

— Voulez-vous insinuer que ces événements auront quelque rapport avec mes fiançailles et mon mariage

— Oui. Tu sembles oublier que ce mariage dépend de moi… de moi seul !

— Et monsieur Bigot ? l’oubliez-vous, monsieur, demanda la belle fille révoltée.

— Monsieur Bigot !… Le baron haussa les épaules avec dédain. Monsieur Bigot, reprit-il aussitôt, n’est rien !

— Rien !… répéta comme un écho Marguerite surprise.

— Je n’ai qu’à dire, sourit le baron avec sarcasme, que je ne suis pas le baron de Loisel, et alors, le vicomte de Loys, qui est, lui, d’authentique noblesse, t’abandonne… il ne saurait prendre pour femme une Lardinet, et encore moins la ceindre d’une couronne de vicomtesse.

— Ah ! s’écria Marguerite avec désespoir et avec horreur, c’est donc que vous êtes réellement Lardinet tout court ?

Le baron ébaucha un geste d’ennui.

— J’ai été Lardinet, quand cela a été nécessaire, soit ; mais je suis bien le baron de Loisel !

— Vos titres… vos titres authentiques ! cria Marguerite.

— Tu les veux ?

— Je vous adjure de me les livrer !

— Livre-moi le comte et sa fille… et ces titres, tu les auras !

— Le comte ? répliqua Marguerite avec étonnement. Comment voulez-vous que je vous livre ce qui n’est pas en ma possession.

— Tu ne me comprends pas, Marguerite, fit le baron avec impatience. Je te demande de m’aider à m’emparer de sa personne.

— Vous aider… comment ?

— Cela te concerne. Tu es dans les bonnes grâces de Michel Cadet, tu as tes entrées dans sa demeure dans laquelle le comte de Maubertin occupe des appartements… tu pourrais emmener le comte ici même !

— Je doute fort.

— Que n’essayes-tu pas ?

— Donnez-moi les titres !

— Donnant donnant…

— Non, jamais ! refusa avec énergie Marguerite.

— C’est bien, grommela le baron. Mais entends-moi bien : jamais, toi, tu ne seras la vicomtesse de Loys !

La jeune fille devint blanche, affreusement blanche. Elle quitta brusquement son siège et se mit à marcher rageusement par la pièce, prononçant des paroles hachées, inintelligibles faisant des gestes de menace, renversant des fauteuils, rageant, rugissant…

— Ho !… si vous me faites manquer ce mariage…

Elle venait de s’arrêter à deux pas de son père, l’œil en flammes, la lèvre tordue, écumeuse, le sein tumultueux, le souffle court.

Elle répéta, la voix rauque :

— Ah ! si je manque ce mariage par votre faute…

— Eh bien ! demanda tranquillement le baron.

Les nerfs tendus de la jeune fille ne purent résister plus longtemps à l’effort, une détente se produisit, elle courba le front et, chancelante, retourna à son siège pour s’y affaisser.

Le baron souriait avec un triomphe diabolique.

— Enfin ! gémit la pauvre fille, qu’exigez-vous au juste ?

— La personne du comte, puisque j’ai un compte à régler avec lui. Ce compte, j’aurais dû le régler pour toujours il y a deux mois, j’ai manqué ma chance. Donc, arrange-toi pour que je puisse m’assurer de la personne de Maubertin d’ici demain, ensuite…

— Ensuite… Ce n’est donc pas suffisant ? demanda Marguerite avec épouvante.

Le baron se mit à ricaner sourdement.

Posément il introduisit une main dans la besace à son dos, en retira le poignard que Jean Vaucourt y avait découvert, le tendit à sa fille en disant avec un cynisme effrayant :

— Prends cette arme, ouvre cette porte, traverse ton boudoir, à droite une autre porte que tu ouvriras et franchiras, c’est une chambre à coucher, et dans cette chambre, sur un lit blanc et rose, sommeille doucement une jeune fille, approche-toi, enfonce dans son sein ce poignard jusqu’au manche en ayant soin de frapper au cœur !

Marguerite bondit.

— Hein ! rugit-elle assassiner la fille du comte… comme ça… froidement et comme si j’étais un monstre altéré de sang ?… Mais vous êtes fou, monsieur ! Vous êtes plus scélérat que j’avais pensé, vous êtes le vrai monstre ! Mais vous êtes infâme… mais vous êtes odieux ! Arrière ! arrière !… Allez-vous-en ! Suis-je donc une meurtrière maintenant ? Suis-je devenue une femme sans cœur, sans entrailles, sans âme…

— Marguerite, interrompit le baron en articulant chaque mot, tu es sans cœur !

La jeune fille poussa un rugissement sourd et se rua contra son père comme pour le frapper d’une arme quelconque ; elle s’arrêta frémissante, les yeux fulminants, l’haleine rau-