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Page:Féron - La besace d'amour, 1925.djvu/79

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LA BESACE D’AMOUR

Michel Cadet contre Monsieur de Maubertin et sa fille, et vous reconnaissez encore que vous avez fait assassiner hier mon pauvre père…

— Monsieur, interrompit durement Bigot, prenez garde de prononcer des paroles irréparables ! Avant de porter des accusations il importe de posséder quelque preuve !

— Écoutez, commanda rudement Jean Vaucourt, je n’ai qu’un signe à faire et je vous fais arrêter, je vous fais charger de chaînes, puis je vous expédie en France pour que le roi ait l’opportunité de vous demander des comptes !

— Faites ! répliqua Bigot qui n’avait pu s’empêcher de blêmir.

— Ne me défiez pas, monsieur ! gronda Jean Vaucourt.

— Eh bien ! Jean Vaucourt, je vous défie de toucher à l’intendant-royal !

Et Bigot se dressa avec un souverain mépris.

Jean Vaucourt se haussa également et dit :

— C’est bien, je n’ai pas la preuve ce soir, mais je la tiendrai un jour. Et alors, monsieur je vous avise d’avoir à vous bien tenir ; car, sachez-le, l’heure du châtiment sonnera bientôt !

Et, méprisant, il alla rejoindre Flambard disant :

— Allons-nous-en, mon ami, j’étouffe en cette atmosphère maudite !

Flambard l’arrêta.

— Vous oubliez donc Marguerite de Loisel ?

Jean Vaucourt frémit.

— Pauvre fille ! murmura-t-il. Puis il ajouta en entraînant son ami :

— Allons nous-en, Flambard !

Tous deux sortirent de cette maison, dont les murs suintaient le vice et la lèpre… ils s’en allèrent pour n’y plus remettre les pieds.

Quant à Marguerite de Loisel, ils ne l’eussent pas retrouvée : elle avait disparu !

Et disparu aussi le père Croquelin !

Et disparu encore le notaire-royal !

Là autour de Bigot et de Cadet, il ne restait plus que la fange…


CHAPITRE XIII

LA NOCTURNE BESOGNE DE FLAMBARD


Il était environ trois heures de nuit, lorsque Flambard arriva avec un charretier devant la maison du père Vaucourt.

Les deux hommes pénétrèrent dans la maison, enlevèrent le tonneau dans lequel le baron de Loisel avait été déposé et le transportèrent dans la charrette. Mais avant de s’éloigner Flambard rendit la liberté au garde, disant sur un ton menaçant :

— À présent, file au Château et rapporte-toi à ton nouveau capitaine, Jean Vaucourt !

Le garde jeta à Flambard un regard ahuri et s’élança dans l’obscurité de la nuit.

Peu après la charrette portant Flambard et le tonneau se mit en marche vers la Haute-Ville pour s’arrêter, au bout d’une demi-heure, au delà de la porte Saint-Louis.

Flambard se fit aider à descendre le tonneau, paya largement le charretier et le renvoya, disant :

— Ici, ta besogne finit… va !

L’homme s’en alla avec sa charrette.

Flambard se mit à rouler son tonneau le long des murs extérieurs en gagnant la partie la plus élevée du promontoire. À un endroit, le sentier rocailleux était si étroit, que le tonneau roulait difficilement.

— Est-il lourd un peu cet animal ! grogna Flambard.

À sa droite, il apercevait vaguement un précipice qui lui parut, dans l’obscurité, d’une profondeur insondable. Mais cet abîme ne paraissait ni l’effrayer, ni l’intéresser. Il roulait son tonneau plus loin… jusqu’au sommet du promontoire où, d’une hauteur vertigineuse, il dominait le fleuve sombre. Là le cap était tranché presque verticalement.

En bas se dressaient des rochers noirs contre lesquels venaient clapoter les eaux du fleuve.

Flambard s’était arrêté très essoufflé, car la besogne avait été rude. Puis il se mit à ricaner, se pencha vers les planches qui fermaient la gueule du tonneau et parla ainsi :

— Hé ! monsieur le baron de Lardinet !… si vous pensez avoir une âme à sauver, faites votre acte de repentir avec Dieu, car l’heure de votre châtiment a sonné ! Vous avez commis bien des crimes, et il serait injuste que vous ne fussiez pas puni. Déjà deux de vos acolytes de Pondichéry ont été sur l’ordre du roi exécutés en place de Grève à Paris. Aujourd’hui, votre tour est venu !

Il ricana longuement et reprit, narquois :

— Quel beau saut vous allez faire tout de même ! Vraiment j’envie presque votre sort ! C’est un petit voyage dans l’espace que vous ne regretterez pas assurément ! Il va vous sembler — j’en jurerais ma propre âme — que vous descendez en enfer, ce que je vous souhaite bien de tout mon cœur !

Sans cesser de ricaner Flambard apprêta le tonneau de façon à le faire rouler dans l’abîme.

— Voyons ! monsieur le baron, dit-il encore, est-ce fait ? Vous partez… Allons ! une… deux… Vous partez, vous dis-je !… et trois !

Flambard donna une rude poussée, et le tonneau, comme un bolide, tomba dans le gouffre.

Flambard se pencha au-dessus de l’abîme effrayant, écouta, regarda… Tout avait disparu. Mais la minute d’après il perçut un bruit sourd quelque chose comme un craquement sinistre puis le silence se rétablit.

Alors, il se releva en essuyant son front en nage et dit :

— Par les cornes de lucifer ! j’ai eu presque peur !

Il fit un pas de recul, comme s’il eût été soudain pris de vertige. Mais il ne fit qu’un pas car une voix âpre, haineuse et ironique se mit à ricaner lourdement à trois pas devant lui, et Flambard aperçut une silhouette humaine qui, le bras étendu, l’ajustait d’un pistolet.

— Par l’enfer ! jura Flambard avec la plus grande stupeur, le baron de Lardinet !…

C’était inimaginable !… Oui, c’était bien le baron de Loisel qui ricanait et disait :

— Ah ! ah ! maître Flambard… une belle vengeance à votre crédit… C’est un cadavre que vous avez précipité en bas… c’était le cadavre du père Vaucourt !

Et le baron riait à se tordre.

Flambard n’en osait croire ni ses yeux ni ses oreilles.

— Allons ! maître Flambard, ce soir, c’est mon tour ! Avouez au moins que c’est un bon tour ! Tantôt vous avez eu la bienséance de vous occuper de mon âme, vous m’avez conseillé de la