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LA BESACE D’AMOUR

Et Cadet fit mine d’appeler un domestique.

— Inutile, intervint Bigot, monsieur le comte sera ici dans un instant.

En attendant Cadet voulut offrir l’hospitalité à M. de Vaudreuil et aux personnes de sa suite en commandant des vins et des fruits. Mais Rigaud l’arrêta au geste.

— Pardon ! dit-il. En attendant Monsieur de Maubertin, je désire faire part à monsieur Jean Vaucourt que j’aperçois là, que le marquis de Vaudreuil le nomme capitaine de ses gardes en son Château Saint-Louis.

Cette nouvelle causa une stupeur énorme.

Jean Vaucourt s’approcha et dit :

— Monsieur je remercie monsieur le marquis de Vaudreuil de sa bienveillance et de la confiance qu’il daigne placer en mon humble personne. J’accepte avec empressement ce poste.

Tous les gentilshommes et officiers se regardèrent avec ahurissement, car ce poste de capitaine des gardes, si convoité, n’était d’ordinaire confié qu’à un gentilhomme et officier en même temps de l’armée régulière.

Rigaud de Vaudreuil saisit cet étonnement, sourit et reprit en s’adressant au capitaine :

— C’est bien, monsieur, j’instruirai mon frère monsieur le marquis, de votre acceptation. Vous vous trouvez donc séance tenante muni de tous les pouvoirs de ce poste. Monsieur de Croix-Lys étant tombé gravement malade à Montréal, monsieur le gouverneur a pensé que vous étiez tout désigné pour le remplacer.

— Monsieur le comte de Maubertin ! annonça un domestique.

Le comte apparut, pâle, amaigri, mais vigoureux encore.

— Monsieur, dit-il à Rigaud, j’apprends que vous désirez me voir, et je me rends à votre appel.

— Monsieur le comte, le gouverneur m’avise d’avoir à vous informer au plus tôt que le roi de France vous commande d’aller reprendre votre poste d’intendant-général à Pondichéry.

Une nouvelle sensation se produisit parmi les gentilshommes.

— Merci, monsieur, de cette bonne nouvelle, répondit le comte. Mais je vous prie de me permettre de serrer de suite les mains de mes amis.

Et le comte s’élança vers Flambard.

— Ah ! mon cher ami, s’écria-t-il, que je suis content ! Et ma fille qu’en savez-vous ?

— Elle est en sûreté, monsieur le comte, au Château Saint-Louis où elle vous attend.

— Et vous capitaine ? dit le comte en offrant sa main à Jean Vaucourt.

— Monsieur le comte, vous trouverez bizarre de voir un capitaine des gardes de monsieur le gouverneur drapé d’un habit d’arlequin, n’est-ce pas ? Ah ! si vous saviez l’affreuse comédie qu’on avait préparée… Depuis hier j’étais prisonnier en cette maison…

— Comme je l’étais moi-même, sourit le comte avec mépris tandis que son regard, par ricochet, se posait sur Cadet et Bigot à quelques pas de là.

Tous les trois alors, se retirèrent un peu à l’écart, et à voix basse Jean Vaucourt mit le comte au courant de ce qu’on avait tramé contre eux.

Lorsque le comte eut été mis au courant, il dit :

— Mes amis, faisons mine de rien pour le moment. Mais je vous assure que le jour des comptes à régler est proche.

Puis apercevant tout à coup la besace au dos du capitaine.

— Quoi, fit-il, avec une surprise amusée, vous avez donc retrouvé la besace du père Achard ?

Flambard se mit à rire :

— N’oubliez pas, dit-il, que cette besace s’appelle LA BESACE D’AMOUR. Et ce soir encore, monsieur le comte on l’avait mise à l’enchère !

— Vraiment ? Et c’est vous capitaine, sourit le comte, qui vous êtes rendu l’acquéreur ?

— De force, oui, répondit Jean Vaucourt.

— Eh bien ! conservez-la, mon ami, peut-être vous portera-t-elle chance un jour !

À ce moment Cadet s’approcha du comte.

— Monsieur le comte, dit-il avec un sourire contraint, je suis charmé de vous savoir tout à fait remis, et je me permets de vous féliciter de la confiance que vous rend le roi.

— Monsieur répondit froidement le comte, je vous remercie de votre hospitalité et des soins que vous m’avez fait donner. Croyez bien que…

Bigot intervint alors et avec son aimable sourire :

— Ah ! monsieur le comte, je vous l’avais bien dit que le roi ne saurait oublier un bon serviteur !

— Monsieur l’intendant, répliqua le comte avec une froide politesse, je savais toujours que le roi n’oublie pas de récompenser ses serviteurs fidèles, comme je savais qu’il sait punir et châtier — tel ce baron de Loisel — les serviteurs qui ont manqué de probité et de loyauté !

Bigot pâlit légèrement sous le trait adroitement décoché.

Mais le nom de Loisel avait été entendu de Rigaud qui s’approcha pour demander :

— Mais ce baron de Loisel, dit-il en regardant Bigot, n’avait-il pas été commis à votre surveillance ?

— Parfaitement, monsieur. Malheureusement il a réussi à corrompre deux de mes serviteurs qui lui ont donné la clef des champs.

— En ce cas, capitaine, dit M. de Vaudreuil à Jean Vaucourt, il importe de lancer des agents à ses trousses.

— Monsieur, intervint Flambard, ce serait peine perdue : en ce moment le baron de Loisel est sur le seuil de l’éternité.

Et Flambard souriait avec mystère.

— Eh bien ! tant mieux, s’écria Rigaud. Un procès pour une telle crapule serait encore trop d’honneur. Monsieur le comte, ajouta-t-il en se tournant vers Maubertin, permettez-moi de vous emmener au Château où vous attend avec une très grande angoisse mademoiselle de Maubertin.

— Merci, monsieur, j’accepte avec la plus vive reconnaissance.

Les adieux se firent de part et d’autre courtoisement et froidement, et le comte de Maubertin suivit Rigaud de Vaudreuil.

La stupéfaction était encore à son comble parmi les gentilshommes, officiers, bourgeois et dames que Jean Vaucourt, laissant Flambard à l’écart, s’approcha de Bigot et dit à voix basse et menaçante :

— Monsieur, vous savez que je suis le capitaine des gardes ; vous reconnaissez la trame infâme que vous avez ourdie de concert avec