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LA BESACE DE HAINE

— En ce cas, qu’il meure ! dit Flambard en se reculant, car votre père du fond de sa tombe demande vengeance !

— Oh ! épargnez-moi ! plaida de Loys en se levant pour tomber à deux genoux.

À l’écart, le spadassin laissa entendre un sourd ricanement.

— Pensez à votre serment de tout à l’heure ! lui fit observer le vicomte.

— J’y pense. J’ai juré de ménager ta vie, si tu me disais où était l’enfant d’Héloïse de Maubertin et de Jean Vaucourt, je tiens ma parole !

Alors, Jean Vaucourt parla :

— Or, moi j’ai juré de venger la mort de mon père le jour où je découvrirais son assassin, et je veux tenir parole à l’âme de mon père. Vicomte de Loys, ajouta-t-il sur un ton glacial et résolu, tu vas mourir !

Jean Vaucourt décrocha un pistolet à une panoplie, l’arma tranquillement et en approcha le canon de la tempe gauche du malheureux jeune homme.

— Fais ta prière à Dieu ! ajouta-t-il solennellement.

De Loys se mit à pleurer abondamment en balbutiant au travers de ses sanglots :

— Faites-moi grâce, capitaine… grâce !

Il se montrait aussi lâche devant le châtiment qu’il avait été fanfaron dans le crime.

— Fais un acte de repentir, dit encore froidement Jean Vaucourt, car il ne te reste qu’une minute !

Il appuya quelque peu sur la détente de l’arme à feu.

Dans une seconde de vision terrible, le vicomte revit tout son passé odieux et il embrassa tout un bel avenir devant lui ! Il frissonna longuement. Mourir au moment où il est permis de tout espérer de la vie ! Mourir quand on vient de naître seulement ! Laisser une vie pleine de promesses et de plaisirs, pour embrasser l’odieuse mort !… Il poussa soudain un cri terrible… un cri qui traversa les murs de la maison, un cri qui se répandit dans les rues avoisinantes, un cri qui fit tressaillir Jean Vaucourt et blêmir Flambard… Et dans le tressaillement qui l’agita une seconde, Jean Vaucourt, sans le vouloir, pressa trop fort la détente du pistolet et le coup partit… La détonation parut secouer la maison entière. Mais, chose étrange, de Loys n’était pas tombé ! Il s’était relevé, comme activé par un ressort puissant, et il demeurait immobile, éperdu, fou, la tempe gauche ensanglantée, un filet de sang coulant le long de sa joue… un filet de sang qu’il étancha du revers de ses mains liées ! La balle du pistolet n’avait qu’éraflé la tempe.

— J’ai manqué ! dit tranquillement Jean Vaucourt en jetant l’arme fumante. Donne-moi un pistolet, Flambard !

Le spadassin tira de sous sa capote de grenadier un pistolet et le tendit au capitaine.

De Loys comprit qu’il n’avait pas de pardon à espérer de cet homme, et la peur le tua presque : il s’affaissa à plat ventre sur le tapis de la chambre en hurlant d’épouvante.

À cette minute, une main frappa doucement dans la porte de la chambre. Flambard alla ouvrir. Il recula aussitôt avec surprise en découvrant devant lui une sœur tourière qui lui souriait tristement.

C’était Marguerite de Loisel.

— Vous ! dit Jean Vaucourt.

— Capitaine, j’ai entendu un cri affreux alors que je passais sur la rue. Croyant que c’était quelque malheureux qui demandait assistance, je suis accourue.

— Voici, en effet, un malheureux et un misérable, répondit le capitaine en désignant de Loys qui râlait sur le plancher.

Marguerite comprit tout ce qui se passait. Elle attira le capitaine à l’écart et lui demanda à voix basse et suppliante :

— Jean Vaucourt, voulez-vous m’accorder une faveur ?

— Je ne saurais rien vous refuser, mademoiselle, après tout ce dévouement dont vous m’avez entouré à l’hôpital, parlez !

— Donnez-moi la vie de cet homme !

Le capitaine frémit.

— Ne savez-vous pas, dit-il, qu’il a tué mon père ?

— Je sais, capitaine. Mais si je vous demande sa vie, c’est parce que, à cette heure où notre colonie va être attaquée de tous côtés par un ennemi formidable et acharné, nous avons besoin pour la défendre de tous les bras jeunes et valides ! C’est parce que vous n’avez pas le droit, même pour le plus haut motif de vengeance, même pour la meilleure raison de justice, vous n’avez pas le droit, dis-je, de priver votre pays, votre roi, des bras dont