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LA BESACE DE HAINE

ment à la vie, je t’adjure de dire ce que tu as fait de cet enfant !

De Loys regarda longuement Flambard comme s’il eût voulu s’assurer de la sincérité de Flambard qui semblait lui laisser l’espoir de vivre encore.

— Vous me jurez, dit-il, que vous n’attenterez pas à ma vie, si je vous dis où est cet enfant ?

— Veux-tu que je t’en fasse le serment ?

— Jurez !

— Soit. Au nom du Christ qui nous voit et nous entend, je jure que tu auras vie sauve, répondit solennellement Flambard.

— C’est bien, j’accepte ce que vous venez de jurer. De Coulevent, ajouta-t-il en se tournant vers son ami, tu es témoin de ce serment !

De Coulevent fit un signe affirmatif de la tête.

— Maintenant, parle, mais parle vite ! menaça Flambard.

— Cet enfant, répondit de Loys, a été confié à des mendiants de la basse-ville, le père Raymond et sa femme.

— Ah ! dit Flambard avec joie et en regardant Jean Vaucourt, qui avait également tressailli d’une joie indicible. Mais tu es sûr de ne pas me mentir au moins, reprit de suite le spadassin.

— J’ai dit que j’ai confié cet enfant au père Raymond et à sa femme. À présent, entendons-nous : si l’enfant n’est plus là, ce n’est pas ma faute !

— Tu n’as pas revu l’enfant ?

— Ni le père Raymond. J’ai versé cent livres au père Raymond pour garder l’enfant au moins un an.

— Un an ! dit Flambard en réfléchissant.

Il ajouta :

— Il se peut fort bien que le mendiant garde l’enfant durant un an dans l’espoir de toucher au bout de l’an un autre cent livres. Mais ce n’est pas tout, sans te demander compte de la mère que nous avons retrouvée.

Ici, Flambard ne mentait pas. Sachant qu’Héloïse était chez Bigot, il la considérait comme retrouvée. Toutefois, pour être plus sûr il demanda :

— Tu savais, n’est-ce pas où elle était ?

— Qui ? demanda de Loys. La femme de ce… du capitaine Vaucourt ?

— Oui, ricana Flambard.

— Vous l’avez retrouvée chez monsieur l’intendant, n’est-ce pas ?

— Parfaitement, répondit Flambard sans broncher.

— Eh bien ! moi, je n’ai appris la chose qu’hier seulement.

Il se peut que de Loys mentait. Enfin, n’importe ! Et Flambard, qui avait mille peines à contenir sa joie, reprit :

— Peux-tu maintenant me dire qui a tué le père Vaucourt au mois de septembre 1756 ?

— Eh ! s’écria de Loys avec impatience, un lieutenant de police est-il censé savoir absolument qui sont les auteurs de tous les forfaits et crimes qui se commettent dans un pays ?

— Certes non, sourit Flambard. Mais ce crime-là, tu sais qui l’a commis ?

— Comment puis-je le savoir ? Et ensuite que m’importait ce père Vaucourt ?

— C’est bon, dit Flambard. Je passe à une autre question. Sais-tu qui a enfoncé un poignard dans la poitrine de Jean Vaucourt à l’Hôpital-Général, alors que tu étais là toi-même, blessé d’un coup d’épée que tu reçus d’un certain nommé Flambard ?

Et le spadassin ricanait toujours.

Mais, cette fois, de Loys se troubla.

— Voyons, reprit Flambard qui avait saisi ce trouble, dis seulement ce que tu sais !

— Je ne sais qu’une chose, répondit sourdement le vicomte, que Jean Vaucourt avait tenté de se suicider.

— Oui, qu’il avait tenté seulement, puisque tu le vois ici bien vivant. Néanmoins, il a conservé l’arme avec laquelle il s’est frappé, la voici !

Et brusquement Flambard mit sous les yeux du vicomte atterré le poignard qu’il avait abandonné dans le sein du capitaine.

De Loys était devenu si livide que Flambard pensa un moment qu’il allait s’évanouir de terreur.

— Et à présent, vicomte de Loys, continua Flambard sur un ton terriblement grave, voici le poignard qui a frappé à mort le père Vaucourt… regarde !

Et il exhiba l’autre poignard.

Terrifié, le vicomte demeurait tremblant et les yeux fermés. On sentait qu’un hoquet d’épouvante battait dans le fond de sa poitrine.

Jean Vaucourt s’approcha et d’une voix blanche prononça :

— Oui, Flambard, voilà bien l’assassin de mon pauvre père !