Page:Féron - La besace de haine, 1927.djvu/100

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
98
LA BESACE DE HAINE

grand étonnement dans son accent et dans ses regards. Il s’appelle Jean Vaucourt !

Jean Vaucourt !…

Le capitaine bondit de nouveau et cria à tue-tête et comme pris de folie :

— Héloïse ! Héloïse ! c’est moi ton mari, c’est moi… tu ne me reconnais donc pas ?

Il tendait ses bras à la fois tremblants et suppliants.

Héloïse s’était reculée pour continuer à regarder Flambard et le capitaine avec ses yeux toujours étonnés.

Puis, tout à coup, elle frissonna, son teint se colora légèrement, ses sourcils se rapprochèrent, et regardant fixement le capitaine, elle dit d’une voix concentrée et légèrement irritée :

— Monsieur, vous dites que vous vous appelez Jean Vaucourt ? Mais c’est une imposture, puisque mon mari est là-haut et qu’il va descendre !

Pour la seconde fois Jean Vaucourt s’abattit sur un siège.

Puis il appela d’une voix méconnaissable :

— Flambard !

— Capitaine ? répondit le spadassin en s’approchant.

Avec des sanglots dans la voix et des larmes dans les yeux Jean Vaucourt demanda :

— Mon ami, mon ami, que se passe-t-il ? Suis-je devenu fou ? Ou bien, dites-moi que nous faisons un rêve monstrueux !

— Capitaine, répliqua gravement Flambard, nous ne rêvons pas et vous n’êtes pas fou. Voici bien votre femme, voici bien la fille du comte de Maubertin… mais elle est morte !… On a tué son intelligence !

— Horreur ! horreur ! sanglota Jean Vaucourt, ma femme… ma femme si adorée est folle !

— Oui, gronda Flambard, c’est le crime le plus horrible que des monstres humains puissent accomplir. Oh ! mais cette fois, par les deux cornes de Satan ! nous allons voir du sang !

Puis, brusquement il tira sa rapière et clama de sa voix de stentor et nasillarde :

— Holà, Bigot, infâme sacripant d’enfer ! Holà, voleur maudit ! Holà, monstre d’ignominie !…

Au centre du mur de l’extrémité opposée de la salle une immense porte, à deux panneaux, s’ouvrit tout à coup, chaque panneau paraissant s’enfoncer en glissant silencieusement dans les murs, et de l’autre côté de cette porte apparut une petite salle, sombre et sans mobilier, dallée de pierre. Et dans cette salle apparaissait un homme, un garde, armé d’une longue rapière qu’il brandissait tout en esquissant de ses lèvres un sourire moqueur.

Flambard jeta un cri de surprise.

— Par l’enfer et satan ! jura-t-il, est-ce que je ne reconnais pas ce garde que j’avais pendu dans le logis du père Vaucourt ?

À ce moment, au fond de cette petite salle obscure, un second personnage paraissait et s’arrêtait immobile près du mur, et ce personnage était enveloppé d’un large manteau noir avec un capuchon qui couvrait, sa tête et cachait entièrement son visage.

— Ah ! tiens, dit Flambard en ricanant, voilà Lucifer ! Mais c’est ce garde… ah ! ah ! mon gaillard, je te reconnais bien !

— Tant mieux, répondit l’autre avec un rictus sinistre. Je suis bien ce garde, en effet, Verdelet, pour vous servir, maître spadassin de l’enfer !

Il brandissait encore sa rapière.

— Ah ! ah ! tu veux rire, gronda Flambard, eh bien ! nous allons rire de suite et tous les deux, avant que j’aille rire ensuite avec ce fantôme que j’aperçois derrière toi !

Et Flambard fondit, la rapière au poing, sur Verdelet au moment où celui-ci venait de pénétrer dans la grande salle.

Au premier choc des épées, Héloïse tressaillit fortement. Puis elle courut se pendre au cou de Jean Vaucourt, criant et gémissant à la fois :

— Ils vont le tuer !… Ils vont le tuer…

Jean Vaucourt voulut l’apaiser… Mais il se sentait à demi fou, se demandant sans cesse s’il n’était pas le jouet, ainsi que Flambard lui-même, d’un songe affreux.

Oh, tandis que Flambard se jetait contre Verdelet, la porte latérale qui donnait sur le vestibule s’ouvrit doucement, si doucement que Jean Vaucourt n’entendit pas ; car s’il avait entendu et regardé de ce côté il aurait vu qu’un domestique ouvrait en même temps la porte d’entrée donnant sur le péristyle, puis il aurait vu plus loin, traversant le jardin, une troupe de gardes et de cadets, l’épée au poing ! Il aurait vu encore, la seconde d’après, un mendiant franchir la grille du jardin et hurler :

— Les Anglais !…