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LA BESACE DE HAINE

— Mes gentilshommes, monsieur l’intendant n’est pas encore descendu de ses appartements, mais la femme de monsieur l’intendant recevra ces gentilshommes !

Et le domestique ouvrit tout à fait la porte et s’effaça.

— Ah ! diable ! s’écria Flambard qui oubliait d’atténuer son accent nasillard tant la surprise l’avait presque renversé, depuis quand donc monsieur l’intendant a-t-il femme ?

Le domestique sourit et répondit :

— Depuis hier soir, messeigneurs !

Flambard crut saisir quelque chose d’ironique dans le sourire du laquais, et il pensa :

— Il se passe ici quelque chose d’extraordinaire que j’ai hâte de connaître !

Et il regarda Jean Vaucourt qui était excessivement pâle.

— Entrez, messeigneurs ! invita le domestique sans se départir de son sourire moqueur.

Les deux amis pénétrèrent dans un vaste vestibule, très sombre à ce moment. Le domestique les conduisit vers une porte, à droite, et non à gauche où était ce petit salon que nous connaissons. Et cette porte à droite, une fois ouverte, laissa voir une grande salle richement meublée et ornée de portraits et de statues d’un prix inestimable. Là encore il régnait un demi-jour.

Flambard et le capitaine pénétrèrent dans cette salle, et le domestique avant de se retirer dit d’une voix basse et onctueuse, mais narquoise encore, comme pensa le saisir le spadassin :

— Madame va venir, en attendant que monsieur l’intendant puisse recevoir ses distingués visiteurs !

La porte fut refermée doucement.

— Il me semble, souffla Jean Vaucourt, que nous venons de nous jeter dans l’enfer !

Flambard fit aussitôt un bond vers la porte refermée par le domestique, et il constata que cette porte avait été refermée et verrouillée en même temps du côté du vestibule, il ne put l’ouvrir.

— Vous avez deviné justement, dit-il en souriant et en revenant vers le capitaine.

— Qu’allons-nous faire ? interrogea celui-ci.

— Si nous sommes dans l’enfer, attendre que le diable s’amène, nous verrons toujours à quoi nous en tenir. Pour l’instant il n’y a aucun danger immédiat, et vu que je suis fatigué, je vais m’asseoir sur l’un de ces magnifiques fauteuils.

Il fit comme il disait.

Jean Vaucourt l’imita.

— Nous allons donc nous borner à attendre madame ! se mit à ricaner Flambard.

À la minute même, dans l’angle droit de l’extrémité opposée de la salle une petite porte à demi masquée par une tenture fut ouverte, la tenture doucement écartée, et la silhouette diffuse d’une femme apparut.

Vêtue de blanc, cette jeune femme s’avançait craintivement vers les deux hommes. À mesure qu’elle approchait, ses traits devenaient de plus en plus distincts.

Et tout à coup Jean Vaucourt poussa un grand cri de joie :

— Héloïse ! Héloïse !…

Il bondit et courut à la jeune femme qu’il voulut prendre dans ses bras. Elle le repoussa doucement et dit d’une voix basse et tremblante, une voix qui avait un accent impossible à rendre que Jean Vaucourt ne reconnaissait pas :

— Vous désirez voir mon mari, messieurs ?… Il sera ici dans dix minutes !

Son mari !…

Jean Vaucourt tomba, foudroyé presque, sur un divan.

Flambard s’était approché à son tour et considérait curieusement Héloïse qui, de son côté, observait le spadassin avec des yeux démesurément grands et étonnés.

La jeune femme était si méconnaissable à cause de sa maigreur excessive et du teint livide de son visage que Flambard se demandait si c’était bien là Héloïse de Maubertin, ou si, pour le mystifier lui et Jean Vaucourt, on leur avait envoyé une femme qui eût avec la fille du comte quelque ressemblance étrange.

Mais cette ressemblance était encore trop apparente pour tromper, en étudiant ce masque ovale, ces traits fins et délicats, ces yeux bleus, ces cheveux blonds… oui, oui, pensait Flambard, les cheveux d’Héloïse !

— Son mari !… a-t-elle dit, se murmurait Flambard dérouté et inquiet.

Il interrogea en s’inclinant :

— Madame, comment se nomme votre mari que j’aurai bien du plaisir à connaître ?

— Quoi ! monsieur, je pensais que vous le connaissiez, fit la jeune femme avec un