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LA BESACE DE HAINE

Regaudin, après s’être assuré qu’il n’était pas poursuivi par le terrible Flambard, s’était blotti derrière un tronc d’arbre pour attendre que la charrette et son escorte eussent poursuivi leur chemin. Lorsqu’il se vit seul, il revint sur le lieu du combat.

Il se mit à fouiller les buissons.

— Je ne veux pas laisser ma rapière ici, si j’allais rencontrer des maraudeurs !… Ah ! ça, suis-je stupide ? Ne l’ai-je pas laissé tomber dans la maudite charrette ?…

À l’instant même son pied heurta un objet qui rendit un léger son métallique.

— Biche-de-bois ! fit-il joyeusement, la voici !

Parmi les herbes et les feuilles roussies humides de rosée il ramassa une rapière. Il la brandit.

— Est-ce la mienne ?… Elle ne semble pas accoutumée à ma main !… Ne serait-ce pas celle de Pertuluis, ou de l’un de ces gardes ? Voyons !… Ah ! chienne de lune, ne pourrait-elle mieux éclairer !

Il grogna et glissa la rapière dans le fourreau pendu à son côté gauche.

— Eh bien ! après cela… l’une ou l’autre… du moment qu’elle y va !…

Satisfait, il reprit le chemin de la ville. Au loin, devant lui, il percevait le cahotement de la charrette.

Après un quart d’heure de marche, à un endroit où un chemin sous bois débouchait sur la grande route, Regaudin se heurta assez rudement à un individu.

Deux exclamations de surprise joyeuse s’échappèrent :

— Pertuluis !…

— Regaudin !…

Tous deux, dans la lune plus blanche, se regardèrent un moment comme pour s’assurer que c’étaient bien leurs corps vivants et non leurs ombres qui se croisaient.

— Ventre-de-veau ! grogna Pertuluis, quelle aventure !

— J’en ai perdu l’appétit et la soif ! gémit Regaudin.

Tous deux d’un commun accord s’assirent sur le bord de la route. Tout en se remettant de « l’aventure », ils se concertèrent.

— Une chose, dit Pertuluis, nous perdons cent livres, si nous ne perdons pas deux cents.

— Si nous ne perdons pas deux cents ?… fit interrogativement Regaudin qui ne saisissait pas l’idée de son compère.

— Sans doute, puisque, n’ayant pas accompli la besogne pour laquelle nous avons été embauchés, l’honnêteté nous commande de rendre à qui de droit les cent livres que nous avons reçues à l’avance.

— L’honnêteté ! dit Regaudin en branlant la tête. Tu appelles ça de l’honnêteté, après avoir failli laisser nos deux peaux au bout de la rapière de ce satané Flambard ?

— Le gueux ! gronda Pertuluis, il me le paiera, et cher ; retiens bien ceci, Regaudin !

— Et moi… les deux trous qu’il a faits à mes reins ! Aie ! aie !… hurla tout à coup Regaudin.

— Ah ! ça, qu’est-ce qui te pique ? demanda Pertuluis avec surprise.

— Ce sont encore les deux pointes que m’a plantées là ce mauvais garnement de Flambard !

— Deux coups d’épée ?… Tu fuyais donc, puisque tu montres tes reins ?

— Je ne fuyais pas, je protégeais mon existence !

— C’est comme moi ; vingt fois j’ai eu l’idée de l’embrocher fin et sec, mais j’ai pensé que je pourrais me reprendre.

— Comme moi, fit Regaudin. Donc, ayant été presque tués, je ne sache pas qu’il y ait honnêteté à rendre cent livres qui nous appartiennent.

— Je suis bien de ton avis, d’autant plus qu’il ne nous reste que ces cent livres pour manger et boire selon les commandements…

Gravement il récita :


Mets et vins tu avaleras et dégusteras joyeusement !
Plats et verres tu nettoieras et remplira souventement !


— Il y a bien encore notre solde dont nous n’avons perçu que la moitié, gémit Regaudin.

— Ah ! notre solde… se mit à ricaner Pertuluis, j’y suis accoutumé. Pour être sûr de la tenir il faudrait aller la quérir en plein dans la panse de ce brigand de Bigot ou dans les tripes de ce cochon de Varin !

— Raison de plus pour ne pas rendre les cent livres que nous avons touchées. On n’est pas des imbéciles, biche-de-bois !

— Certainement non !

— Et même, pour avoir tant risqué, je serais d’avis qu’on allât réclamer les autres cent livres.

— Ah ! ah ! fit Pertuluis, songeur.

— N’as-tu pas perdu ta rapière au jeu ? N’ai-je pas eu ma peau trouée et mes reins percés ? Est-ce que tout cela ne vaut pas cent livres ? Je voudrais y voir le sire Deschenaux, biche-de-biche !