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LA BESACE DE HAINE

prendre une sorte de revanche contre son ancienne fiancée et contre de Loys.

Bigot, qui était au courant de ces rivalités, ne disait rien et riait sous cape. Pour lui c’était un jeu d’enfants, mais il comptait fort que ce jeu aurait pour dénouement la mort d’Héloïse de Maubertin. C’était tout ce qu’il souhaitait.

Deschenaux, à ce moment, tout comme de Loys, n’attendait plus que la mort de Jean Vaucourt pour s’emparer de la jeune femme.

Qui l’aurait à la fin, lui ou le vicomte ?

L’échec subi par Pertuluis et Regaudin l’avait fortement contrarié et dérouté. D’autant plus dérouté qu’il avait appris le retour des Indes du Flambard. Bigot lui-même avait senti un froid à l’âme en apprenant cette nouvelle. Sa mort… mais sa mort prompte, rapide, avait été de suite la plus forte préoccupation de Bigot et de son factotum.

Quant à Jean Vaucourt, Deschenaux avait eu le matin même une idée atroce lorsqu’il eut appris que le capitaine avait été conduit à l’Hôpital-Général, et cette idée il voulut la communiquer au vicomte de Loys en allant l’informer de l’échec des deux grenadiers.

Il était encore matin lorsque Deschenaux se présenta chez le vicomte qu’il trouva au lit.

— Mon cher vicomte, dit-il en entrant, je viens vous apprendre une mauvaise nouvelle.

— Une mauvaise nouvelle ? s’écria le vicomte. Vous arrivez bien, attendu que je préfère la mauvaise nouvelle le matin plutôt que le soir. Le matin, j’ai tout le jour pour la digérer ; le soir, elle m’empêche de dormir. Eh bien ! qu’est-ce ?

— Mes deux gredins ont manqué leur coup cette nuit. J’avais envoyé, pour surveiller l’affaire, Verdelet qui vient de me donner le compte rendu.

— Ah ! ah ! le diable protège donc ce Jean Vaucourt, cet ancien clerc de notaire, ce roturier, ce…

— Je ne sais au juste s’il faut mettre la chose sur le compte du diable ; cette nuit Vaucourt a rencontré un protecteur inattendu…

— Ah ! ah !…

— C’était Flambard !

De Loys sursauta et jura :

— Par Notre-Dame ! me dites-vous, mon cher, que ce Flambard maudit est revenu des Indes ?

— Justement. Il est revenu pour instruire Héloïse de Maubertin de la mort de son père et lui faire part des dernières volontés du comte.

De Loys demeura silencieux pour réfléchir.

— Néanmoins, reprit Deschenaux, j’ai une idée !

— À quel sujet ?

— Au sujet de Jean Vaucourt.

— Quelle est cette idée ?

Avant de répondre, le secrétaire de Bigot fit deux ou trois fois le tour de la chambre, silencieux et méditatif, comme s’il avait roulé son idée dans sa tête pour en peser le pour et le contre.

Il s’arrêta subitement et en jetant une exclamation de surprise devant un objet attaché à un des murs.

— Qu’est-ce cela ? demanda-t-il à de Loys qui passait lentement une robe de chambre.

— Cela ?… se mit à rire sourdement le vicomte. Quoi ! ne reconnaissez-vous pas LA BESACE D’AMOUR ?

— La Besace d’Amour ! fit Deschenaux avec étonnement.

— Oh ! ricana de Loys, je dois vous dire de suite qu’elle a changé de nom.

— Vraiment ? fit Deschenaux, cette fois plus curieux qu’étonné.

Le nouveau ricanement que fit entendre le vicomte parut si effrayant à Deschenaux qu’il frémit.

— Ce nom ? demanda-t-il.

— LA BESACE DE HAINE !…

Deschenaux tressaillit et regarda, comme s’il n’avait pas compris, le vicomte.

Celui-ci, tout à coup, était devenu sombre, et ses dents grinçaient dans sa bouche. Ses lèvres dessinèrent un rictus mordant et il ajouta, la voix basse et saccadée :

— Oui… La Besace de Haine !… Cette besace à présent ne peut être que l’emblème de la haine, après avoir été le symbole de l’amour ! Car il n’y a plus que haine partout ! L’amour a disparu… ou plutôt il n’existe plus qu’un amour : l’amour de la haine et de la vengeance ! Oui, la haine est partout ! On ne découvre sur les masques que la grimace de la haine ! On ne voit que des poings se crisper de haine ! On n’entend que des paroles de haine ! On ne perçoit que des regards chargés de haine ! On ne respire plus qu’un vent de haine !…

De Loys se tut subitement, puis lança un éclat de rire sardonique.

Deschenaux tressaillit encore et dit :

— Vous avez dit vrai, vicomte, nous mar-