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LA BESACE DE HAINE

chons sur la haine. Mais je reviens à mon idée…

— Au fait, répliqua de Loys en reprenant un visage plus gai, j’ai hâte que vous vous décidiez à me communiquer cette idée.

— Voici. Je vous ai dit que Jean Vaucourt est en ce moment à l’Hôpital-Général. Or, supposez qu’un individu quelconque soit blessé, mais un individu avec qui nous aurons eu préalablement une entente, qu’il soit transporté à la maison des Hospitalières, et que là guettant l’occasion, il achève Vaucourt d’un coup de poignard au cœur !

— Merveilleux ! s’écria de Loys. C’est une idée admirable, et il faut s’appeler Deschenaux pour avoir idée pareille. Naturellement, ce blessé devra l’être si peu qu’il puisse se mouvoir, et qu’il soit encore assez solide pour frapper sûrement. Mais savez-vous où prendre cet homme ?

— Non, malheureusement. J’ai un moment pensé à l’un ou l’autre des deux individus que j’ai dépêchés hier vers la charrette qui portait Vaucourt ; à présent j’ai peu de confiance en ces deux gredins.

— Pertuluis et Regaudin ?

— Oui.

— Attendez, dit de Loys, je pense que je tiens l’homme qu’il vous faut.

Deschenaux sourit.

— Quel est cet homme ? demanda-t-il.

— Je serai cet homme ! répondit de Loys avec un accent d’énergique résolution.

— Vous ? fit Deschenaux avec surprise.

— Pourquoi pas ? N’ai-je pas tué le père ? Demain, je tuerai le fils !

Il alla à une panoplie, y prit un poignard, le montra à Deschenaux et dit :

— Voyez… ce sera l’arme dont je me servirai, sa lame est mortelle. J’avais trois de ces poignards, tous trois exactement pareils, et marqués de ces mêmes lettres F. L. qui sont mes initiales. L’un a mystérieusement disparu de cette panoplie, et j’ai toujours douté le baron de Loisel, que j’avais hébergé durant quelques jours, d’être l’auteur de cette disparition. C’est lorsque je décidai de tuer le père Vaucourt, d’accord avec monsieur l’intendant, que je m’aperçus que l’un des poignards manquait.

— Mais si je vois bien, il ne vous en reste plus qu’un.

— J’avais laissé le deuxième dans la poitrine du père Vaucourt.

— Diable ! comment avez-vous pu commettre une telle imprudence, si l’arme était marquée de vos initiales ?

De Loys sourit avec sarcasme.

— Je voulais justement que cet arme désignât l’auteur du meurtre !

— Vous-même alors ? s’écria Deschenaux avec stupeur.

— Non, se mit à rire cyniquement le vicomte, un autre personnage dont le nom s’écrit avec les mêmes initiales.

— Et ce personnage ?

— François Lardinet !

— Lardinet !…

— Puisque c’était un imbécile ! éclata de rire de Loys.

— C’est vrai, admit Deschenaux. Mais d’où venaient donc ces poignards ? demanda-t-il aussitôt.

— De mon père qui les avait apportés de Séville. À les voir, ces poignards n’offraient rien de particulier, et cependant ils ont une caractéristique : le sang ne tache pas la lame.

— Ah ! ah !

— Elle sort d’une blessure aussi brillante que vous la voyez.

— Très curieux. Et vous êtes toujours décidé à nous débarrasser de Jean Vaucourt ?

— Si j’y suis décidé… Aujourd’hui même je prendrai les mesures pour me faire conduire, comme blessé, aux Hospitalières, et demain Jean Vaucourt ne sera plus ! Oh ! cette fois ma vengeance ne m’échappera pas, je le jure !

— Bien, dit Deschenaux avec satisfaction.

L’instant d’après il se rendait au Palais de l’Intendance.

Nous savons comment il avait reçu Pertuluis et Regaudin, mais il était loin de s’attendre, ce matin-là, à la visite de Flambard.

En voyant apparaître le terrible spadassin, Deschenaux faillit sauter en l’air d’épouvante, et il pensa que sa dernière heure était venue.


— IX —

L’OUBLIETTE


— Ah ! ah ! sourit narquoisement Flambard, voici le valet ! Eh bien, tant pis ! Après, ce sera le tour du maître.

Tremblant, Deschenaux s’était levé pour marcher vers une croisée où il s’arrêta.

— Que voulez-vous ? demanda-t-il.

— Je croyais trouver ici ton maître et patron, François Bigot que l’enfer attend et que cent mille diables grilleront tout spécialement dès que je le leur aurai expédié. Mais puisque, au lieu du maître, je trouve le valet…