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LE ROMAN DES QUATRE

J’aime mieux le voir là, ce maudit Flambard ! Car je suis sûr qu’il aurait réussi à passer à travers les gardes et à nous échapper ; tandis que là…

— Il ne pourra échapper, se mit à rire Bigot. Tu as raison, ami, et je te conseille d’aller commander son cercueil : dans trois jours il sera mort d’épouvante et de faim !

Deux ricanements diaboliques traversèrent le silence de la salle.


— X —

OÙ LE PÈRE CROQUELIN REPREND LE BÂTON ET LA BESACE.


On se rappelle comment, cette nuit-là, Marguerite de Loisel était venue à la maison de Jean Vaucourt pour lui offrir ses services et l’hospitalité à la maison de l’Hôpital-Général.

Le capitaine, ayant accepté cette offre généreuse, s’était écrié dans un élan de désespoir :

— Mais qui se chargera de retrouver Héloïse et mon enfant ?

— Moi ! avait dit Flambard.

— Et moi ! avait, prononcé le père Croquelin.

Lorsque Flambard, après avoir vu à l’installation de Jean Vaucourt à l’Hôpital et après avoir accompli auprès de Marguerite la mission à lui confiée par le comte de Maubertin, était revenu rue Saint-Louis, il avait trouvé le père Croquelin dans le petit salon, debout, le dos aux flammes de la cheminée, l’œil contracté et le front songeur.

— Ah ! ça, père Croquelin, qu’arrive-t-il encore ? demanda Flambard en entrant.

— Une chose bien singulière, monsieur Flambard : la besace du père Achard a disparu ! Elle était là, voyez… à côté de la mienne.

— Ah ! ah ! dit Flambard en jetant un coup d’œil sur la besace du père Croquelin.

Ayant avisé les deux poignards, il ajouta :

— Et ces poignards ?

— Quoi ! fit le père Croquelin, vous ne vous souvenez pas ? Ce sont ces deux poignards, dont vous m’avez parlé un soir à l’Olympe, cette auberge que tenait le sieur Delarose…

— Le sieur Delarose… fit Flambard comme pour rappeler ses souvenirs.

— Oui, cette masse de suif qui a fondu tout d’un coup l’an dernier…

— Elle a fondu ? dites-vous, père Croquelin ?

— Comme beurre en poêle : le sieur Delarose n’est plus de ce monde !

— Ah ! ah !… Et son auberge de la rue Buade ?

— Elle a servi de poêle ou de marmite à fondre le sieur Delarose…

— Incendiée ? s’écria Flambard stupéfait.

— Comme une paille… ça n’a été qu’une flambée. On ne sait comment la chose s’est faite. C’était une nuit très froide de l’hiver dernier, avec un vent qui charriait des rochers. Trois ou quatre maisons du voisinage ont été consumées en même temps. La ville a failli y passer tout entière.

— Mais ces poignards ? dit encore Flambard.

— Eh bien ! ce sont ces poignards sur le manche desquels on a gravé un F et une L…

— Une aile de corbeau, n’est-ce pas ? ricana Flambard.

— Mais non, saperlotte… une aile majuscule entrelacée avec l’effe maj…

— Je comprends, je comprends, interrompit Flambard en riant. Vous voulez dire un L majuscule ?

— Ah ! tiens, c’est vrai. Vous m’avez déjà appris qu’une L majuscule était une affaire masculine…

— Oui, oui, je me souviens de cette soirée mémorable. Mais je reviens encore à ces deux poignards : avez-vous appris à qui ils appartenaient ?

— Jamais. Nous avons toujours pensé qu’ils avaient appartenu au baron de Loisel dit Lardinet.

— Ou Lardinet dit Baron de Loisel. Je l’ai ainsi pensé moi-même, puisque F et L sont les initiales de François Lardinet. Mais ce n’est encore qu’une hypothèse ; combien de noms s’écrivent avec les mêmes initiales. Tenez ! par exemple, en intervertissant l’ordre de mes nom et prénom, est-ce qu’on n’aurait pas Flambard Laurent ?

— Tiens ! tiens ! se mit à rire le père Croquelin. Vous n’allez toujours pas réclamer ces poignards comme les vôtres ?

— Non, mais je vais les réclamer pour savoir à qui ils appartiennent au juste. Une autre chose : un poignard est toujours utile, et comme je n’en ai pas, je prends l’un, et vous, père Croquelin, vous prenez l’autre.

— Vous avez raison, monsieur Flambard. En des temps comme ceux que nous traversons on peut avoir à défendre sa peau à tout moment.

— Revenons à la besace du père Achard : vous dites qu’elle a disparu ?