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LA BESACE DE HAINE

— Dame, oui ! et c’est la première fois que je m’aperçois de la chose. Comme il était entendu que j’allais me mettre avec vous à la recherche de madame Héloïse, j’avais songé à reprendre mon ancien métier de mendiant. Car, vous le savez, le mendiant est un être qui voit tout et entend tout sans qu’il en ait l’air !

— Certes, il vaut un agent secret, se mit à rire Flambard.

— Ne riez pas !… Je vous garantis que j’aurai trouvé madame Héloïse avant que le soleil qui se lève se soit couché.

— Je le souhaite, père Croquelin, et vous en aurez tout mérite et tout honneur. Donc, la besace du père Achard…

— Qu’on avait appelée la Besace d’Amour… vous vous rappelez ?

— Oui, oui, je me rappelle.

— Eh bien ! je vous le dis encore, elle était là… Voyez ce clou d’or… Elle était là accrochée. Car madame et monsieur le capitaine y tenaient comme à leurs yeux. Maintenant, voyez vous-même, elle n’y est plus !

— Elle n’y est plus ! fit comme un écho Flambard. Je vois bien, sacredieu ! Et vous ne savez pas ce qu’elle est devenue ?

— C’est un mystère !

— Il faudra déchiffrer le mystère.

— Au fait, puisque vous êtes sorcier, monsieur Flambard, vous arriverez facilement à savoir ce qu’elle est devenue.

— Oui, je suis sorcier, sourit Flambard, mais non pas un faiseur de maléfices… Mais allons au plus pressé. Père Croquelin, vous connaissez ici les aîtres et je crois savoir que vous êtes quelque peu cuisinier. Il est cinq heures. Mangeons un morceau, buvons un verre et mettons-nous en route. Si mes pressentiments ne me trompent, il y a devant nous une rude besogne à accomplir.

— Suivez-moi à la cuisine, monsieur Flambard, et je vous servirai un petit déjeuner qui en vaut bien un autre !

Il était six heures, lorsque Flambard et le père Croquelin, qui s’était déguisé en mendiant et avait mis à son dos son ancienne besace, se mirent en route.

Tous deux se dirigèrent vers la maison qu’habitait sur cette même rue Saint-Louis l’intendant Bigot. Disons que l’intendant préférait vivre dans une maison à lui qu’au Palais de l’Intendance où il avait de luxueux appartements. Mais dans ces édifices princiers il eût été contraint de se surveiller sans cesse et de garder une tenue de haute dignité, et cette existence fût devenue embêtante pour cet homme qui aimait tant les plaisirs abjects et les débauches. Or, dans sa maison de la rue Saint-Louis, où il tenait une sorte de Cour de Versailles en miniature, il pouvait se permettre toutes les folies, sûr qu’il était de son entourage et, surtout, de ses domestiques choisis expressément et triés sur le volet. Disons encore que l’intendant possédait quatre lieux de domicile à Québec seulement : ses appartements au Palais qu’il occupait de temps à autre, surtout lorsqu’il avait de grandes affaires à traiter, sa maison de la rue Saint-Louis, une somptueuse demeure d’été près de la rivière Saint-Charles et, enfin, une sorte de manoir seigneurial près de Beauport où, l’hiver, il donnait de grandes fêtes. À Montréal, où les affaires de la colonie ou même encore les affaires de son commerce personnel l’appelaient de fois à autre, il possédait un pied-à-terre. Mais le plus souvent Bigot demeurait en sa maison de la rue Saint-Louis.

Flambard, qui connaissant les habitudes de l’intendant, s’était donc dirigé vers cette maison de la rue Saint-Louis dont, il n’était pas loin.

À cette heure matinale nul être vivant n’était encore visible sur les rues, la cité demeurait encore endormie et silencieuse. Au moment où Flambard et le père Croquelin approchaient de la demeure de l’intendant, ils aperçurent, franchissant une porte cochère, un cavalier monté sur un superbe cheval bai. Le cavalier, au pas de son cheval, prit la direction de la Porte du Palais.

— Père Croquelin, murmura Flambard, voici que la Providence nous vient de suite en aide : ce chevalier, à moins que je ne voie trouble, c’est précisément le secrétaire de l’intendant.

— Vraiment ? Je ne l’avais pas reconnu. Eh bien ! alors ?

— Vos jambes vous permettront-elles de suivre cet excellent monsieur Deschenaux pour savoir où il va ? Moi, je guetterai l’honorable Bigot.

— Je vais essayer de faire en sorte que vous soyez content de moi, monsieur Flambard. Je me mets donc en chasse. Où nous reverrons-nous ?

— Je ne sais pas au juste. Ou je serai posté ici, ou je serais au Palais de l’Intendance, car j’ai affaire à monsieur l’intendant.

— Si, à mon retour, vous n’êtes plus ici, je vous chercherai au Palais de l’Intendance, afin de vous mettre au courant de ce que j’aurai appris ou découvert.