Page:Féron - La besace de haine, 1927.djvu/56

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
54
LA BESACE DE HAINE

Je vous dois donc la vie, monsieur Flambard. Mais me direz-vous où vous avez pris toute cette boue ?

— Cette boue ?…

Flambard se mit à rire et narra son aventure.

Il s’était fait conduire en une chambre par le cabaretier, et, tout en parlant, il faisait sa toilette. Le père Croquelin écoutait et en même temps frottait les habits du spadassin.

Lorsqu’il eut terminé son récit, il demanda :

— Et vous, père Croquelin, vous ne m’avez pas confié votre mésaventure ?

L’ancien mendiant fit le récit de son excursion chez M. Pierrelieu. Quand il en fut venu à la mention par les domestiques de « la captive », Flambard l’interrompit :

— Ah ! ah ! vous êtes certain qu’on a parlé d’une captive ?

— Aussi certain que je suis certain d’étriper un de ces sacrés gardes…

— Eh bien ! nous n’avons pas de temps à perdre. Il sera bientôt le crépuscule, et il importe de vérifier s’il y a captive ou non chez ce Pierrelieu.

Flambard envoya chercher un cabriolet.

— Vous, père Croquelin, allez m’attendre à la maison du capitaine où je vous rejoindrai ce soir !

Il passait quatre heures de quelques minutes, quand le cabriolet portant le spadassin s’arrêta devant la demeure de M. Pierrelieu.

Flambard descendit et s’approcha d’un domestique qui battait des tapis dans le parterre.

— C’est ici que demeure M. Pierrelieu ? interrogea-t-il.

— Il y demeure aujourd’hui, répondit le domestique, mais demain il n’y sera plus.

— Ah ! bah ! dit Flambard.

— C’est comme je vous dis. Demain, nous remménageons en la cité pour l’hiver.

— Bon ! je comprends, sourit Flambard en mettant une pièce d’or dans la main du domestique.

Celui-ci regarda la pièce, puis Flambard, et demanda, en mettant la pièce de monnaie dans sa poche :

— C’est un renseignement que vous désirez ?

— Non, c’est pour t’encourager à ta besogne et me laisser aller frapper à la porte.

— La porte est ouverte, monsieur, comment frapperez-vous ? demanda naïvement le domestique avec quelque méfiance.

— Je me contenterai seulement d’entrer sans frapper.

— Oui… et moi je risquerai de perdre ma place ! Pas de ça, monsieur, je vais vous introduire.

— Comme tu voudras, mon ami. Ainsi donc, monsieur Pierrelieu est là ?

— Non. Monsieur Pierrelieu est à ses affaires à la ville : mais mademoiselle est là.

— Tiens ! fit Flambard avec un accent débonnaire, j’ai précisément une communication à faire à mademoiselle.

— Venez ! dit le domestique.

Il introduisit le spadassin dans le vestibule et appela une fille de chambre.

— Philomène, dit-il, voici un gentilhomme qui veut faire une communication à mademoiselle : va la prévenir !

La fille de chambre s’éloigna. Le domestique indiqua un siège à Flambard et alla reprendre son travail dans le parterre.

Mlle  Pierrelieu faillit s’évanouir d’effroi, lorsqu’elle aperçut dans le vestibule la silhouette haute et narquoise de Flambard.

— Mademoiselle, commença celui-ci en s’inclinant, je vous prie de m’excuser si ma visite intempestive vous contrarie ; mais je suis muni pour vous d’une très importante communication de la part du capitaine Jean Vaucourt.

— Jean Vaucourt !… balbutia Mlle  Pierrelieu en chancelant.

Flambard se précipita à son secours.

— Voulez-vous vous asseoir, mademoiselle ? Je pense que vous n’êtes pas très bien.

— Ô mon Dieu ! bégaya Mlle  Pierrelieu, le sein tremblant, quelle nouvelle affreuse venez-vous m’apprendre, monsieur ?

— Mademoiselle, je viens vous apprendre que le capitaine Vaucourt est blessé et incapable de se mouvoir et qu’il vous redemande sa femme.

— Sa femme !…

Mlle  Pierrelieu, de pâle qu’elle était seulement devint livide. Elle étendit les bras en criant :

— Ô monsieur… monsieur Flambard ! ayez pitié de moi !

— Mademoiselle, je ne vous ferai aucun mal, du moment que vous me mettrez en présence de madame Héloïse.

— Mais qui a dit qu’elle était ici ?

— Le capitaine Jean Vaucourt qui m’envoie, répliqua Flambard sans sourciller.

— Mais comment sait-il que sa femme…

— Est ici ?… C’est le bon Dieu qui a permis qu’il la vît en songe dans cette maison.