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LA BESACE DE HAINE

Et, imperturbable, Flambard ajouta :

— Ce qui prouve que Dieu « sait aussi des méchants arrêter les complots ! »

— Oh ! monsieur, pleurnicha Mlle Pierrelieu, je ne suis ni méchante ni mauvaise…

— Parbleu ! c’est bien ce que je pensais, mademoiselle.

Et Mlle Pierrelieu sachant qu’elle ne pourrait donner le change au spadassin, résolut d’avouer sa complicité en défigurant la vérité.

— Monsieur, reprit-elle en pleurant, comme on m’avait dit que madame Vaucourt courait de grands dangers, j’ai offert ma maison afin qu’elle vécût en sûreté jusqu’au retour de son mari.

— Mademoiselle, je n’ai aucun doute que le capitaine vous saura gré de cette charitable action. Mais, aussi, comme je suis pressé et que le crépuscule approche…

— Vous voulez donc emmener madame…

— Si je veux l’emmener… Mais c’est l’ordre que je dois exécuter bon gré mal gré.

Mlle Pierrelieu, au fond, n’était pas fâchée de se voir débarrassée d’Héloïse puisque celle-ci se trouverait hors de la portée de Deschenaux. Cela reviendrait toujours à une sorte de vengeance contre son volage fiancé ; même qu’elle cherchait à se persuader que ce serait encore la meilleure des vengeances en rendant la jeune femme à son mari !

Et puis, comment aurait-elle pu refuser de rendre la jeune femme à celui qui venait la réclamer ? Ah ! elle connaissait trop la réputation du terrible spadassin pour essayer seulement de se mettre en travers de sa volonté ou de ses intentions. Donc le mieux, de tous côtés, c’était de se rendre et de rendre sa victime.

— C’est bien, monsieur Flambard, je vais aller prévenir madame Héloïse. Mais auparavant je vous dirai qu’elle est bien souffrante depuis un mois, et mon médecin assure qu’elle a besoin de beaucoup de ménagements.

— C’est entendu. Allez, mademoiselle, je vous suis.

— Ne vaut-il pas mieux que j’aille la prévenir, monsieur ?

— Je désire la prévenir moi-même, mademoiselle, sourit Flambard. Voyez-vous, j’ai pour principe de toujours faire moi-même mes affaires.

— Vous ne vous fiez pas à moi ?

— Si, mais vous n’êtes qu’une femme, mademoiselle, et je vous vois très énervée. Aussi, comme la délicate mission que j’ai à accomplir demande du sang-froid, je crois…

— C’est bien, monsieur, venez.

Elle conduisit Flambard aux cuisines.

Les cinq ou six domestiques qui s’y trouvaient furent très surpris d’apercevoir cet étranger qui apparaissait comme un maître redoutable. Leur surprise devint de la stupeur en constatant que Mlle Pierrelieu avait ses beaux yeux noirs tout rougis et tout humides de larmes.

Que se passait-il ? C’était pour eux un événement qu’ils avaient hâte de commenter.

Mlle Pierrelieu appela une servante et lui dit :

— Allumez un bougeoir, Marie, et conduisez-nous à la chambre de Madame !

La servante obéit vivement, toute stupéfaite qu’elle était. Elle pénétra dans un couloir sombre sur lequel donnaient les chambres des domestiques. Mlle Pierrelieu et Flambard suivaient.

La servante s’arrêta devant une porte au fond, c’était la dernière.

— Avez-vous la clef ? demanda Mlle Pierrelieu.

— Je l’ai oubliée ! déclara la servante en rougissant.

— Allez la chercher, commanda Mlle Pierrelieu, je tiendrai le bougeoir.

La servante reprit le chemin de la cuisine.

De suite Mlle Pierrelieu expliqua à Flambard :

— Monsieur, vous pourrez trouver étrange que ma pensionnaire soit ici et sous clef ? Aussi, je désire vous expliquer que je lui ai donné cette chambre pour qu’elle fût plus près de mes domestiques qui en ont soin. Et si je tiens la porte fermée à clef, c’est afin d’empêcher certains domestiques mal stylés de pénétrer chez madame et de l’importuner.

Flambard fit mine d’accepter ces explications comme vraies et sincères.

La servante revint avec la clef de la chambre.

— Ouvrez ! commanda Mlle Pierrelieu.

La porte fut ouverte. La première, la servante poussa un cri de surprise… la chambre était inhabitée !

Flambard aperçut une petite fenêtre ouverte et qui donnait sur une cour à l’arrière de la maison. Cette cour était murée, mais l’une des parois était à demi démolie, et le spadassin comprit que la jeune femme, pour échapper à ses geôliers et à ses bourreaux, avait pris la fuite.

Mais Mlle Pierrelieu, elle, avait poussé un véritable rugissement de lionne blessée.

Elle saisit un bras de Flambard qu’elle serra avec une force prodigieuse, elle serra si