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LA BESACE DE HAINE

Or, pendant que se déroulait cette tragédie, le vicomte de Loys avait été installé provisoirement dans une salle de malades et de blessés, en attendant qu’on lui eût préparé une chambre. Le vicomte arrivait donc à l’hôpital environ seize heures après Jean Vaucourt.

La salle où de Loys avait été conduit était située au rez-de-chaussée et elle contenait douze malades et blessés. D’un côté cette salle attenait à une antichambre voisine du parloir, de l’autre à un large corridor longeant des chambres. La première de ces chambres, à gauche, était celle de Jean Vaucourt. C’est ce que le vicomte avait appris par la conversation de deux malades non loin de lui.

Quant au vicomte, il occupait un lit à l’extrémité de la salle qui touchait à l’antichambre. Le lit du vicomte s’appuyait d’un côté contre la cloison d’une cellule qui occupait un angle de la salle, et cette cellule servait de chambre à la surveillante du service de nuit.

Cette salle de malades, durant le jour, était bien éclairées et aérée par dix fenêtres, dont cinq de chaque côté de la salle. Les douze lits étaient rangés, six sur un côté et six sur l’autre, et entre chaque lit que séparait un large passage il y avait une fenêtre. Le soir venu, on allumait quatre lampes accrochées à des colonnes qui soutenaient le plancher supérieur de la salle. Entre les colonnes et les deux rangées de lits se trouvait une spacieuse allée.

Le vicomte avait en peu de temps observé la disposition des lieux, car il voulait profiter de la première opportunité pour accomplir son affreuse besogne.

Les lampes venaient d’être allumées. Un peu plus tard, à cinq heures et demie, deux sœurs tourières vinrent faire la distribution des aliments aux malades. De Loys ne voulut rien manger.

À huit heures un médecin et un chirurgien firent leur ronde.

Le chirurgien, qui avait pansé le vicomte à son arrivée à l’hôpital, s’approcha et demanda :

— Ça va mieux, monsieur le vicomte ?

— Oui, dit de Loys.

— Oh ! ce ne sera rien, répliqua le chirurgien. Demain ou après demain vous pourrez quitter l’hôpital.

À neuf heures la surveillante de nuit fit son entrée dans la salle. De Loys tressaillit : dans cette sœur tourière il venait de reconnaître Marguerite de Loisel. La jeune fille tenait dans l’une de ses mains un petit paquet quelconque. Elle se dirigea vers la cellule destinée à la surveillante. Au moment où elle allait pousser la porte, elle jeta un regard distrait sur le lit appuyé à la cloison de la cellule, et elle tressaillit violemment en reconnaissant le vicomte de Loys… de Loys qui avait fermé les yeux pour ne pas voir les regards de Marguerite… de Loys qui feignit de dormir !

Marguerite n’avait pas seulement tressailli, elle avait pâli ! Un sentiment de haine avait aussitôt serré son cœur, mais ce sentiment elle l’avait étouffé de suite… car elle voulait pardonner ! Mais pouvait-elle oublier ?… Oublier ? ah ! non, elle en était incapable ! Ou, du moins, elle s’en sentait incapable !

Car elle n’avait pu oublier les outrages dont l’avait abreuvée le vicomte ! Elle n’avait pu oublier qu’elle l’avait, un soir, frappé d’un poignard, alors que, ivre, le vicomte avait voulu lui faire violence ! Elle n’avait pu oublier… et elle n’oublierait jamais la plus terrible scène de sa vie, cette scène honteuse où, folle qu’elle avait été à cause de narcotiques qu’on lui avait fait prendre à son insu, elle s’était montrée publiquement une dévergondée ! Ah ! non, elle n’oublierait jamais le mépris qu’elle avait lu dans le regard loyal de Jean Vaucourt, ce même soir, à cette fête du munitionnaire Cadet en sa princière demeure de la Porte Saint-Jean !

Ah !… c’est que Marguerite de Loisel avait plus souffert de toute cette honte, de tout ce mépris, que de la déchéance qu’elle avait subie par l’effondrement de la fortune et de la faveur dont jouissait le baron de Loisel, qu’elle croyait son père !

Elle avait pleuré et elle avait gémi !

Elle avait maudit ceux qui l’avaient jetée dans ce milieu infâme dont le roi était Bigot… Bigot dont on lui avait dit qu’elle était la filleule… Bigot qui, à ce titre de parrain aurait dû la protéger, l’avait laissée choir… Bigot qui avait même participé à l’odieuse comédie jouée à la fête donnée par Cadet ! Oui, elle avait maudit cet homme et tous ceux-là qui l’avaient enserrée vivante dans ce cloaque où grouillait une lèpre ignoble et gluante !

Elle n’avait cessé de maudire cet homme sans foi ni loi, ce Lardinet, dont la paternité à son égard lui était en doute, ce prévaricateur, cet assassin qui l’avait menée, elle, par la main dans cet assemblage monstrueux d’êtres vils et hideux, scorpions rampants dont