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LA BESACE DE HAINE

fort que ses doigts et ses ongles pénétrèrent dans la chair du spadassin qui ne put réprimer une grimace de douleur.

— Monsieur, gronda sourdement la jeune fille avec des lèvres qui frémissaient tandis que ses regards lançaient des lueurs fauves, monsieur, vous avez une voiture à la porte, n’est-ce pas ?

— Oui, répondit Flambard.

— Eh bien ! emmenez-moi avec vous !

— Pourquoi ? demanda Flambard très étonné.

— Pour me conduire au Palais de l’Intendance. Voulez-vous ? dites !

— Mademoiselle, je ne peux vous refuser, venez.

Flambard ne songea pas à demander de plus amples détails, il croyait deviner. Au Palais de l’Intendance il y avait Deschenaux… il y avait Bigot ! Flambard sourit. La disparition d’Héloïse ne l’inquiétait pas énormément. De ce moment il était quelqu’un qui se chargerait de la retrouver, et ce quelqu’un c’était Mlle Pierrelieu. Oui, Flambard se doutait bien à présent qu’il aurait un bon auxiliaire dans la personne de cette jeune fille !…

Mlle Pierrelieu était montée précipitamment à sa chambre pour s’habiller à la hâte. Quand elle fut prête à partir, elle dissimula un poignard dans son corsage.

Dix minutes plus tard le cabriolet roulait à toute vitesse vers la cité avec Flambard et Mlle Pierrelieu qui, agitée de jalousie et de fureur, songeait :

— Oui, c’est Deschenaux qui l’a fait évader… il la voulait !… Oh ! le monstre, le monstre…


— XIV —

HAINES ET VENGEANCES


Un drame allait se jouer… ce drame allait se produire si rapidement que, dans l’esprit de ses acteurs, il n’aurait que la durée d’un éclair.

Dans ce cabinet de travail du Palais de l’Intendance que nous connaissons, un entretien venait de se terminer entre l’intendant-royal et son secrétaire Deschenaux, un entretien au cours duquel on avait prononcé quelques condamnations à mort. On avait en effet décrété la mort de Flambard, celle de Vaucourt, celle du père Croquelin et, enfin, celle d’Héloïse de Maubertin. Oui, Deschenaux en était arrivé à cette extrémité, et il avait avoué lui-même :

— Je crois que vous avez raison, monsieur l’intendant, il vaut mieux qu’elle meure !

Il s’était levé et s’apprêtait à partir, quand une porte s’ouvrit doucement pour encadrer une mince silhouette humaine. Et à travers la pénombre qui régnait dans le cabinet de travail — car on n’avait pas encore allumé les bougies — cette ombre s’avança, fugitive, à peine perceptible… Puis elle fit un bond jusqu’à Deschenaux et cria :

— Ah ! scélérat, tu ne jouiras pas de ton triomphe avec celle que tu as fait évader… meurs !

Deschenaux n’était pas revenu de sa surprise que Mlle Pierrelieu — telle une furie antique — lui enfonçait dans la poitrine la lame d’une dague.

Deschenaux poussa un gémissement en portant la main à sa poitrine et balbutia avec une stupeur indéfinissable :

— C’est vous… Hortense ?

— Si c’est moi ?… Regarde !…

Deschenaux chancela et bégaya :

— Ah ! tu m’assassines, fille de satan !

Bigot, non moins surpris, s’était élancé au secours de son secrétaire qu’il aida à s’asseoir sur un fauteuil.

— Oui, je t’assassine, rugit Mlle Pierrelieu, parce que tu m’as volé ma vengeance, parce que tu as fait évader Héloïse Vaucourt, parce que tu m’as délaissée pour elle, brigand ! Meurs donc ! clama-t-elle.

Et, comme une tigresse altérée de sang, elle bondit de nouveau et atteignit Deschenaux au visage de sa lame sanglante.

Mais cette lame avait été détournée quelque peu par Bigot, elle allait pénétrer dans la gorge de Deschenaux.

Lui, perdit connaissance et sa tête roula inerte sur le dossier du fauteuil.

Mlle Pierrelieu, croyant que Deschenaux mourait, fit entendre un ricanement rauque.

— Malheureuse ! dit l’intendant en s’avançant sur elle pour la désarmer.

Mais elle leva encore sa dague toute rouge, et, riant, — elle était peut-être devenue tout à fait folle ! — elle plongea l’arme tout entière dans son propre sein et elle tomba lourdement aux pieds de l’intendant.

Bigot jeta un sonore appel de secours.

Mais le drame était consommé : Mlle Pierrelieu s’était frappée au cœur !

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