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LA BESACE DE HAINE

— Je parie, murmura Flambard, qu’il faudrait un coup de canon pour les réveiller.

— Qu’avez-vous l’intention de faire ? demanda Jean Vaucourt.

— Vous allez le voir, capitaine.

Il prit une des couvertures du lit et la tailla en lanières. De ces lanières il garrotta de Coulevent, et il manœuvra si légèrement que l’autre ne se réveilla point. Et tout en travaillant Flambard souriait narquoisement.

— Qu’est-ce cela ? demanda tout à coup Jean Vaucourt qui examinait la chambre.

Il venait de ramasser sur le plancher cette besace qui portait encore son inscription : LA BESACE DE HAINE !

— C’est justement l’ancienne besace du père Achard, se mit à rire Flambard. C’est cette Besace d’Amour que vous aviez chez vous et qui fut ravie par ce jeune blanc-bec.

— Oui, oui, je crois la reconnaître. Je me rappelle aussi l’histoire que m’a contée l’autre jour le père Croquelin.

— N’est-ce pas coïncidence bizarre, reprit Flambard, que cette besace, que d’abord il avait appelée La Besace d’Amour, il l’ait baptisée La Besace de Haine et qu’il la porte aujourd’hui à son dos ? Et, tout comme le laboureur qui porte le sac à froment, le vicomte porte et sème la haine ! À présent vous allez voir qu’il la récolte et qu’il en a plein son sac !

Et, ricanant, Flambard attacha les mains du vicomte qu’il secoua ensuite rudement.

De Loys ouvrit des yeux stupides qu’il promena sur les deux hommes sans paraître les reconnaître d’abord.

Puis, voulant faire un geste, il s’aperçut que ses deux mains étaient solidement liées. Puis il vit encore son compagnon garrotté et qui continuait de dormir. Puis, encore, il regarda attentivement les deux hommes immobiles devant lui. Et alors un voile sembla se déchirer devant ses yeux à demi voilés encore par les fumées du vin, et il poussa une exclamation de stupeur qui réveilla de Coulevent.

— Trahison ! cria de Loys.

— À mort ! hurla de Coulevent en essayant de se lever.

Il retomba aussitôt sur le lit, livide d’effroi en murmurant :

— C’est Flambard !…

— Et Jean Vaucourt ! prononça le spadassin.

De Loys, égaré, croyant faire un rêve, s’était mis debout. Puis, obéissant à une pensée soudaine, il fit un bond vers une panoplie.

Flambard éclata de rire.

— Où allez-vous, monsieur le vicomte ? demanda-t-il narquois.

De Loys fit entendre un grondement de rage en constatant que ses deux mains étaient liées, il avait paru l’oublier. Mais, comme s’il eût été tout à coup pris de folie, il se rua tête baissée contre Flambard.

Lui, d’un coup de genou, envoya le vicomte sur le tapis de sa chambre où il se roula en hurlant de fureur impuissante, en mordant ses liens pour essayer de les briser.

Flambard ricana longuement.

— Voilà, dit-il, un lieutenant de police en jolie posture !

Puis il se baissa, saisit le jeune homme d’une main, le souleva et le laissa choir dans un fauteuil.

— Maintenant, mon garçon, dit-il sur un ton froid, venons-en aux choses sérieuses !

— Que voulez-vous faire de moi ? interrogea le vicomte avec un regard de haine brûlante aux deux hommes.

— Avant de faire nous voulons savoir, dit rudement Flambard, et savoir ce que tu as fait de l’enfant d’Héloïse de Maubertin, l’épouse du capitaine Jean Vaucourt.

— Je ne suis pas le père de ce bâtard et je…

— Misérable ! cria Jean Vaucourt en se jetant sur le vicomte l’épée à la main. Et il allait peut-être perforer le jeune homme de part en part, quand Flambard l’arrêta.

— Laissez, capitaine, dit-il, cet insulteur et cet assassin aura bientôt l’opportunité de cracher toute sa bave et son venin, c’est moi qui vous le dis !

Jean Vaucourt fit entendre un grondement, remit son épée au fourreau et alla reprendre sa place à quelques pas plus loin.

De Coulevent, livide et tremblant, regardait sans bouger et sans mot dire, croyant peut-être qu’il faisait un rêve monstrueux.

— Tu n’es pas le père de cet enfant, vicomte de Loys, répliqua Flambard, mais tu t’es fait son ravisseur comme tu as ravi la mère. Eh bien ! si tu tiens le moindre-