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la corvée

Ce fut Clémence qui, la première aperçut dans le cadre de la porte la silhouette de l’étranger. Mais de suite, sous les bords d’un large chapeau de paille, elle reconnut les traits du visiteur. Et elle s’écria en courant à lui :

— Monsieur Beauséjour !… ah ! quelle agréable visite !

Oui, c’était bien Beauséjour déguisé en paysan.

Après avoir embrassé Clémence, le jeune homme alla offrir ses respects à la malade et à Mariette qui l’accueillirent avec la plus grande bienveillance. Toutefois, la malade lui dit sur un ton qui voulait feindre le mécontentement :

— Monsieur, vous saviez que nous ne sommes pas riches, et je vous en veux pour nous avoir fait parvenir cette somme de mille livres que nous n’avons pas gagnée.

— Madame, répondit Beauséjour en riant, c’est à ma tante, Mme Laroche, que vous devez vous en prendre. Ma tante s’est fort éprise d’amitié pour Mariette, et, la sachant fiancée à ce brave Jaunart, elle a voulu lui faire une petite dot. Quant à Clémence, je suppose que le jour où elle sera fiancée ma tante ne l’oubliera pas.

Tous les visages parurent heureux, et le jeune étudiant vit avec plaisir que peu à peu le bonheur reviendrait encore habiter le foyer en deuil.

Sur ces entrefaites survint le curé de la paroisse, il venait pour apporter ses consolations. Homme âgé d’une quarantaine d’années, actif, doux et charitable, toute sa physionomie était une image de la bonté. Il confia à Jaunart, accouru à sa rencontre, son cheval et son cabriolet et pénétra dans la maison où il fut reçu avec le plus bel empressement.

— Ah ! ah ! remarqua-t-il joyeusement, je suis content de trouver ici des figures épanouies. Et c’est vous, Monsieur Beauséjour, que je reconnais dans votre accoutrement, oui c’est vous, je gage, qui êtes venu porteur de la bonne nouvelle et messager de joie. Je vous félicite…

Et il poursuivit, après avoir accepté le siège qu’on lui avait offert :

— Vous voyez, dame Brunel et vous, mesdemoiselles, que le bon Dieu sait récompenser, et souvent plus tôt qu’on ne pense, ses serviteurs qui ont su accepter avec courage et résignation les malheurs et les épreuves. Si dans l’infortune vous bénissez son Nom, vous pouvez être certaines qu’il saura vous envoyer votre récompense.

Cela dit, nos personnages échangèrent quelques paroles de peu d’importance. Peu après la malade, qui semblait revenir promptement à la santé, commandait à ses filles de mettre la table et le couvert. Vive et légère, toute frissonnante d’une joie inconnue et mystérieuse, Clémence courut à la cuisine.

Au même instant Jaunart revenait de l’étable où il avait donné une portion d’avoine au cheval du curé, et, la mine alarmée, il disait précipitamment à Beauséjour :

— Monsieur, je vois venir sur la route une patrouille… Vous devez vous cacher quelque part ou bien fuir vers la ville.

— Ah ! ah ! tu as dit une patrouille, fit le jeune étudiant avec quelque surprise…

— Oui, reprit Jaunart, je pense que c’est la patrouille qui cherche des hommes pour les corvées.

Beauséjour se leva vivement et alla, par la porte, jeter un regard sur la route. Mais au même instant une troupe de dix cavaliers s’arrêtait devant la palissade.

— Allons ! dit-il en rentrant dans la maison, il est trop tard pour fuir.

Un lourd silence plana pour quelques instants. Beauséjour et le curé paraissaient réfléchir au meilleur moyen de se tirer d’un danger possible. Clémence et Mariette, tremblaient de crainte et concentraient, comme avec espoir, toute leur attention sur le curé et Beauséjour. Quant à Jaunart, il paraissait oublier qu’il y avait pour lui autant de danger à demeurer là qu’il y en avait pour Beauséjour.

Et pendant ce temps la mère de Mariette et Clémence murmurait :

— Mon Dieu ! pourvu qu’il ne nous arrive pas un nouveau malheur !

Mais déjà on avait trop longtemps réfléchi et l’on n’eut pas le temps de prendre une décision : un officier et deux soldats paraissaient dans la porte. L’officier était, comme Barthoud, de nationalité suisse et il parla ainsi en français :

— Nous cherchons un jeune paysan qui a échappé à la Corvée, et je désire savoir où je pourrais mettre la main dessus.

— Le nom de ce jeune paysan ? interrogea le prêtre.

— Jaunart, répondit l’officier.

Tout le monde frémit. Jaunart, lui, de-