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LA MÉTISSE

rence sera que, au lieu d’être la servante dans cette maison, vous serez la maîtresse.

Ces paroles pouvaient placer Héraldine au pied du mur : elle n’avait plus de raisons de refuser la proposition du fermier. Mais pour elle la seule raison d’être la maîtresse n’influait pas ; et encore ne serait-elle la maîtresse qu’après le maître. En l’occurrence ne valait-il pas mieux demeurer ce qu’elle était ? Au surplus, Héraldine n’eût consenti à épouser cet homme que par pitié, par sacrifice d’elle-même ; et ce sacrifice, elle ne pouvait se l’imposer sans prendre l’avis des enfants de MacSon. Or, les petits voulaient qu’elle restât ce qu’elle était, et pour elle la voix de ces enfants c’était la voix de la Providence. Donc, rien ne la ferait revenir sur la dérision prise. Elle se doutait bien que MacSon lui en voudrait énormément, terriblement ; que son refus allait rallumer chez cet homme violent tous les instincts brutaux, toutes les colères, toutes les haines, les mépris, les coups de pied… Héraldine était préparée. Elle aurait pu, il est vrai, pour amoindrir sinon éviter la responsabilité de sa décision, confier à MacSon ce qui l’avait amenée à ne pas accepter ses propositions matrimoniales. Mais Héraldine était trop généreuse, elle aimait trop ses chers petits pour faire retomber sur eux, sur leurs petites têtes innocentes les foudres paternelles ; elle n’avait pas même eu cette pensée. Elle était là pour protéger ces deux êtres faibles et non pour recourir à leur protection en cas de danger. C’était à elle de faire face à l’ennemi : elle répondit à MacSon :

— Je vous suis bien reconnaissante des bonnes intentions que vous avez à mon égard, Monsieur MacSon. Je n’oublierai pas cela. Toutefois, la chose bien examinée, bien pesée, et aussi pour des raisons personnelles que je ne puis encore vous dire, je préfère, ou plutôt je suis forcée de ne pas accepter votre demande. J’ai décidé de rester fille et de demeurer votre servante aussi longtemps qu’il vous plaira.

Devant la netteté de cette réponse l’Écossais ne put trouver d’arguments capables de combattre avec succès la résolution d’Héraldine. Il la savait assez inébranlable dans ses résolutions pour ne pas s’attaquer davantage. Néanmoins, comme tout homme qui n’aime pas à se voir battu aux yeux d’une femme, il trouva ces mots enfantins et désuets :

— Je vous ai pourtant déclaré que je vous aime…

Héraldine sourit avec mélancolie.

— J’en suis touchée, et j’ai compté que votre amour pour moi vous ferait accepter ma décision avec votre meilleure bienveillance.

Il sembla à MacSon qu’il y avait un peu d’ironie dans l’accent de la Métisse et dans le faible sourire que ses lèvres blêmes esquissèrent. Il se sentit secoué par un souffle de rage, mais il se domina. Héraldine ajoutait :

— Dans ces circonstances, Monsieur MacSon, rien n’empêche que nous vivions en bonne amitié. Et rien à craindre de mon côté : je suis prête à vous donner toute mon estime. Avec Esther qui vous chérit, les deux petits enfants dont vous avez à préparer l’avenir, votre foyer paisible, votre aisance, il me semble que vous ne pourrez pas être malheureux. Ensuite, dois-je l’ajouter ?… il se peut que vous trouviez, plus tôt que vous ne pensez, une femme qui, dans votre foyer, saura remplir mieux que moi ses devoirs d’épouse.

MacSon, comme tous les héros imaginaires qu’un amour perdu pousse au désespoir, s’écria :

— Héraldine, jamais je ne pourrai épouser une autre femme !

C’était bien là ce qu’espérait Héraldine au plus profond de son être. Plus tard, il lui importerait peu que MacSon prit femme, c’est-à-dire lorsque France et Joubert ne seraient plus susceptibles de subir l’influence d’une seconde mère ; c’est-à-dire lorsqu’ils seraient de vrais canadiens et de bons catholiques. Oui, alors MacSon pourrait se remarier, car l’œuvre d’Héraldine serait achevée.

Pourtant, elle ne pouvait écarter de son cœur une pensée de pitié pour cet homme dont elle devinait l’énorme désappointement ; et cette pitié la poussa à laisser à l’Écossais un faible espoir, afin d’atténuer tant soit peu le coup qu’elle lui portait.

— Monsieur MacSon, je vous ai dit que je ne pouvais accepter de devenir votre femme. Je vous ai dit que j’avais des raisons personnelles qui m’empêchaient de vous accorder ma main. Néanmoins, il se peut faire qu’un jour ces mêmes raisons ne soient plus un obstacle, et ce jour-là je serai, toute disposée à reprendre la question.

MacSon, depuis ce moment, marchait à pas rudes, pensif, ses sourcils broussailleux terriblement froncés, sa face rouge devenue livide. Une fureur irraisonnée grondait en lui. Blessé, son amour-propre se révoltait. Même les paroles d’espoir de la Métisse ne purent apaiser la tempête qui s’agitait dans son cerveau, moins encore lorsque sa mémoire lui rappelait la scène qu’il avait eue avec sa fille quelques minutes auparavant. Tout lui résistait, décidément ; et en dépit de sa force herculéenne, dont il se faisait hautement gloire, les plus faibles ne se courbaient pas.

Mais il eut le bon sens de comprendre que c’eût été ridicule de s’emporter, de dire des choses horribles, après les belles paroles d’amour qu’il avait su trouver dans son vocabulaire. Non, il n’aurait pas l’air de faire voir de rien ; mais…

Or, ce mais dans l’esprit de MacSon signifiait une foule de sous-entendus et de menaces pour l’avenir.

Des pas d’homme retentirent, dehors. MacSon comprit que son employé, Hansen, revenait des étables.

Il se composa aussitôt une figure et dit à la Métisse d’une voix presque indistincte :

— Soit, Héraldine, laissons les choses aller comme avant, et attendons l’avenir.

Il laissa la cuisine pour aller s’enfermer dans sa chambre.


XXVI


La vie avait repris son cours normal à la ferme de l’Écossais.

Esther n’avait pas confié à Héraldine les projets matrimoniaux dont l’avait entretenue son père. De son côté, Héraldine n’avait pas non plus parlé des propositions de mariage qui lui avaient été faites par le fermier. Et France