Page:Féron - La prise de Montréal, 1928.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
24
LA PRISE DE MONTRÉAL

rejoindre son bataillon sur la Place du Marché, il avait décidé d’aller boire un verre de vin dans l’un des cabarets de la rue Saint-Paul. Mais arrivé au pied de la rue Saint-Gabriel, il s’arrêta net et avec un geste de surprise. Non loin de lui, sur la rue Saint-Paul, et à la lueur d’une lanterne que tenait un individu que le milicien ne pouvait reconnaître, Lambruche distinguait assez bien deux charrettes arrêtées devant une baraque et dans un endroit solitaire. Il distinguait encore des silhouettes humaines tirer de ces charrettes des marchandises quelconques et les transporter dans la baraque. Et tout ce travail se faisait en silence. Or, il sembla à Lambruche que ces marchandises ressemblaient un peu à des barils de poudre. Mais il pouvait se tromper, il faisait si noir. N’importe ! mû par une curiosité bien naturelle, il se dissimula le mieux possible dans l’obscurité et demeura en observation. Une fois délestées, les charrettes se mirent en mouvement et se dirigèrent du côté de la Porte du Marché. Lambruche remarqua que les roues ne faisaient pas de bruit. Il sourit, en songeant qu’on avait dû enrouler des sacs vides autour des jantes. Un moment après, deux charrettes, venant de la direction qu’avaient prise les premières, s’arrêtèrent devant la baraque, chaque charrette portant une charge complète.

Lambruche put saisir cet échange de paroles anglaises :

— Combien reste-t-il de charges chez Lady Sylvia ?

— Quatre charges encore.

— Bon, on aura bientôt fini.

Et le même travail de déchargement recommença.

La besogne complétée, les charrettes repartirent et deux autres approchèrent.

— Allons se dit Lambruche, je sais à peu près à quoi m’en tenir. Il ne reste plus que deux charges à venir, si ces gens n’ont pas menti. C’est donc le temps d’agir.

Il quitta son poste d’observation et, d’un pas accéléré cette fois, il remonta la rue Saint-Gabriel et reprit le chemin du logis des Ledoux. Comme il entrait, le père Ledoux s’apprêtait à sortir le fusil en bandoulière.

— Père Ledoux, dit tranquillement Lambruche, est-ce qu’on pourrait pas mettre huit charretées de marchandises dans votre cave ?

Le père Ledoux, qui connaissait Lambruche, ne s’étonna aucunement de cette question.

— Je pense bien, répondit-il.

— En ce cas, tout va bien. Venez avec moi !

Il se dirigea vers la place du marché où venaient de s’assembler les miliciens de son bataillon. Rapidement, il donna à tous ses hommes des instructions à voix basse, et l’instant d’après le bataillon se divisait par petites bandes qui, les unes après les autres, quittèrent la Place du Marché. Alors Lambruche prononça quelques paroles mystérieuses à l’oreille du père Ledoux, et, seul, gagna la rue Saint-Gabriel. Là, caché dans l’ombre, il attendit. Au bout de certain temps deux charrettes sortirent d’une ruelle et s’engagèrent ensuite dans la rue Saint-Gabriel. Lambruche avait sauté dans l’une d’elles. Cinq minutes après les deux charrettes s’arrêtaient devant la baraque que nous connaissons. Les abords en étaient tout à fait déserts. Lambruche avisa une porte de chêne, bien bandée de fer et fortement cadenassée. Mais s’étant emparé d’une massue que portait l’une des charrettes, il fit sauter les cadenas. Six miliciens accompagnaient chaque charrette. Lambruche les conduisit dans la baraque et leur donna ordre de charger sur les charrettes les marchandises qui s’entassaient là, et ces marchandises, comme on le devine bien, n’étaient autres que les huit cents fusils des Indépendants et une grande quantité de munitions. Une fois que ces deux charrettes furent remplies, elles se dirigèrent vers la maison des Ledoux, quatre autres charrettes attendaient déjà leur tour pour prendre un chargement. Pour abréger, disons qu’une heure après les fusils et les munitions se trouvaient en sûreté dans la cave du père Ledoux. Et rien n’avait transpiré, personne n’était venu troubler ce travail. Mais Lambruche avait pris ses précautions : il avait en effet aposté dans un certain rayon des miliciens avec ordre d’empêcher de venir du côté de la baraque.

Une autre demi-heure plus tard, Lambruche et son bataillon se trouvaient sur la Place du Marché où le tapage augmentait de moment en moment. On venait d’apprendre le résultat de l’expédition au Comité des Indépendants. Un grand feu allumé au centre de la Place éclairait vaguement cette masse de peuple agité. On de-