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LA PRISE DE MONTRÉAL

Quant à moi, je me rendrai ensuite chez le major Harrisson qui, avec quelques soldats de la garnison, nous demeure fidèle, et je m’entendrai avec lui sur les dispositions à prendre demain matin. Je veux aussi l’informer de la présence de Montgomery dans nos murs.

Mirabelle acquiesça aux désirs du jeune chef, et tous deux, ayant souhaité bonne nuit à Ledoux et à sa femme, s’en allèrent.

— Tout de même, balbutia la mère Ledoux une fois qu’elle se vit seule avec son époux, si l’on n’a point fait un rêve, Sévère, on n’en était guère loin !

— Rêve ou pas, Arménie, répliqua le père Ledoux encore tout ahuri par la scène qui venait de se dérouler, faut avouer que ce Monsieur Montgomery a de la moelle dans les os !

— Quel homme ! fit admirativement la mère Ledoux. Et quand je le compare à Monsieur Maurice et Monsieur Maurice à l’autre, je ne peux pas faire autrement que de me dire qu’ils sont bien faits tous les deux pour se tenir tête !

— Oui, mais à présent, comme tu le vois, l’Américain n’est pas sur un lit de roses. Demain, quand son armée apprendra qu’il est prisonnier dans la ville, ça va faire un drôle d’effet, et le général le sait bien. Ça me dit que toute son armée va se trouver découragée.

— Faut pas s’y fier. Ça pourrait être le contraire qui arrive, et les Américains ne voudraient pas s’en retourner chez eux sans avoir délivré leur général.

Le père Ledoux branla la tête sans répliquer. Depuis un moment, tout en bâillant à pleine bouche, il retirait ses bottes. La mère Ledoux remettait la pièce à l’ordre.

Une heure de nuit sonna.

— Ah !… une heure… fit l’ouvrier en consultant une pendule. Je crois bien qu’on va se coucher, si l’on veut être solides sur pieds demain matin.

— Oui, approuva sa femme. Avec ça qu’il va falloir nous lever de bonne heure. Il va falloir faire le fricot des enfants, aller à la messe, et puis… Bon ! grogna-t-elle, on a oublié de verrouiller la porte.

— Vas-y dit l’homme en pénétrant dans une pièce voisine qui était la chambre à coucher des deux époux.

La mère Ledoux avait prit un bougeoir et s’engagea dans le passage. Elle s’arrêta aussitôt en découvrant un papier sur le plancher. Elle releva ce papier et le considéra avec surprise.

— Qui aurait bien pu perdre ça ? se demanda-t-elle.

Pensive, elle alla verrouiller la porte extérieure et revint dans sa cuisine.

— Sévère, cria-t-elle, viens voir ce que j’ai trouvé !

Elle dépliait le papier et y apercevait une grosse écriture tracée en langue anglaise.

Le père Ledoux parut dans la cuisine en camisole de nuit, pantoufles aux pieds, bonnet rouge sur la tête.

— Eh bien ? fit-il interrogativement en s’approchant.

— Regarde !

— Un papier ? Ah ! ah !

Il l’examina. Mais comme il ne pouvait, pas plus que sa femme, déchiffrer cette langue qui lui était étrangère, il lui vint cette idée qu’il exprima ainsi :

— Ce qu’il y a de clair dans tout ça, Arménie, c’est que ce papier n’a pu être perdu que par le général anglais.

— Je le pense aussi.

— Et moi je le crois, parce que je lis ces deux lettres majuscules R. M.

— Richard Montgomery ! s’écria la mère Ledoux. Ah ! dis-moi donc, Sévère, si c’était un secret que cette épître ?

— Ça doit en être un !

— Faut alors porter ça à Monsieur Maurice, Sévère. Rhabille-toi au plus vite et cours autant que tu pourras !

L’ouvrier n’hésita pas. L’instant d’après il partait à la recherche de Maurice. Sa femme lui avait dit :

— Monsieur Maurice est allé reconduire sa fiancée, tu arriveras peut-être à temps pour le rejoindre là !

En effet, l’ouvrier trouva Maurice au moment où il allait se séparer de Mirabelle à la demeure de celle-ci.

Le jeune homme prit vivement le papier que lui tendait le père Ledoux et se mit à le parcourir du regard en le traduisant au fur et à mesure :


« Au Brigadier
James Livingston. »

« Je suis prisonnier dans la ville. J’ai trouvé la place bien armée, bien défendue et largement approvisionnée. Inutile d’attaquer. Ordre de retraiter demain et de regagner les frontières où je vous rejoindrai… »

R. M.