Page:Féron - La prise de Montréal, 1928.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
55
LA PRISE DE MONTRÉAL

— Nous sommes sauvés ! cria Mirabelle avec joie.

— Oui, nous l’aurions été si Montgomery avait eu l’opportunité de faire parvenir ce message à son brigadier.

— Mais qui nous empêche de lui rendre ce service ? suggéra Mirabelle.

— Bien, c’est vrai.

— Je me charge de cette mission, Maurice.

— Toi ?

— Pourquoi pas ?

Un moment Maurice demeura songeur. En y pensant bien, ce message trouvé chez Ledoux présentait quelque chose de bizarre. Avait-il réellement perdu ou échappé par mégarde. Ou avait-il été laissé là par exprès ? Était-ce un piège ? Non, pensait le jeune homme, car le piège était trop apparent. Montgomery avait probablement l’espoir d’envoyer cette dépêche cette nuit. Oui, ce papier a dû tomber d’une de ses poches à son insu. Il est trop intelligent pour avoir omis qu’un tel papier laissé ici par exprès n’aurait pas manqué de nous mettre sur nos gardes. Je serais donc étonné qu’il y eût là un stratagème de sa part. Cet ordre à son armée de retraiter est tout à fait logique, car il n’ose pas attaquer notre ville. Il n’a pas les forces suffisantes et il redoute un honteux et désastreux échec. J’en suis d’autant plus certain qu’il a tout tenté pour nous rallier à lui. Je suis sûr qu’il ne se serait pas donné tant de peines s’il avait été en état de faire le siège.

Maurice décida donc, après cette réflexion, de faire parvenir le billet à son destinataire, quoi qu’il dût arriver.

— Soit, Mirabelle, tu vas porter ce message au brigadier Livingston, mais je vais t’accompagner.

— Bravo, Maurice ! s’écria joyeusement la jeune fille.

— Mademoiselle, dit le père Ledoux, je suis un ancien batelier, je conduirai la barque, si vous voulez ?

— Certainement, consentit D’Aubières. Allons, une lanterne, et partons !

Ce fut après avoir franchi la poterne de la rue St-Pierre que les trois personnages se dirigèrent rapidement vers une embarcation qui se balançait sur les eaux sombres dont on entendait le clapotis. Le vent était tombé, mais le fleuve demeurait encore légèrement moutonneux.

Disons que le camp principal des Américains se trouvait sur la rive opposée et en partie masqué par l’île Sainte-Hélène. Les feux de l’ennemi étaient éteints, et le ciel, toujours couvert, faisait la nuit très noir, de sorte qu’on ne pouvait voir ni la rive opposée ni l’île. On allait dans une noirceur d’encre que la lanterne trouait bien faiblement. À la vérité, il était impossible de se diriger sûrement. Le père Ledoux maniait les avirons, et Maurice tenait le falot, essayant de percer de ses yeux l’obscurité.

— Il vaut mieux éteindre cette lanterne ! s’écria le père Ledoux. Nos yeux pourront peu à peu s’habituer à la noirceur.

— Vous avez raison, dit Maurice.

Il souffla le falot.

Peu après l’écume des eaux moutonneuses jetait dans un certain rayon une blancheur diffuse. Au bout de dix minutes Maurice et le père Ledoux purent découvrir à une certaine distance une ligne sombre à l’effleurement de l’eau.

— Voilà l’île Sainte-Hélène ! dit le père Ledoux. Nous allons tirer par la droite, raser l’extrémité de l’île, puis filer autant que possible tout droit. Nous allons certainement atterrir tout proche du camp ennemi.

— Vous vous y connaissez, acquiesça Maurice, allez !

Mirabelle gardait le silence, et s’abandonnait avec confiance contre l’épaule de Maurice qui l’enserrait tendrement de son bras gauche.

Ce fut sans encombre qu’une demi-heure après leur départ nos trois personnages mirent pied à terre sur la rive opposée.

Alors seulement le falot fut rallumé pour permettre à nos amis de chercher un chemin ou un sentier qui les conduirait vers le camp.

Mais tout à coup un qui-vive partit de fourrés voisins.

— Ordre du général Montgomery ! cria aussitôt D’Aubières en excellent anglais.

Et en même temps il élevait sa lanterne pour essayer de voir devant lui.

Une sentinelle s’approcha avec précaution et s’arrêta à quelque distance.

— Que voulez-vous ? demanda-t-elle avec défiance.

— Voici, répondit Maurice, mademoiselle que le général a chargée d’un message pour le brigadier Livingston… si vous voulez nous conduire ?

— C’est bien, dit la sentinelle. Donnez-moi votre lanterne, mais mademoiselle me suivra seule ; vous et votre compagnon demeurerez ici !

— Parfait ! consentit D’Aubières.

Il savait fort bien, comme Mirabelle elle-