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LA PRISE DE MONTRÉAL

même, que la jeune fille ne courait aucun risque.

Mirabelle s’engagea donc dans un sentier étroit et tortueux sur les pas de son guide.

Un quart d’heure se passa. Puis Maurice vit la lueur de la lanterne s’agiter au travers des fourrés, et l’instant d’après Mirabelle revenait avec la sentinelle.

De suite nos trois amis sautèrent dans leur embarcation et s’éloignèrent de la rive.

— Eh bien ? fit alors D’Aubières interrogativement.

— Tu dois deviner, répondit Mirabelle souriante, que j’ai en tous points rempli la mission que m’avait confiée Monsieur Montgomery.

— Mais le brigadier… l’as-tu vu ?

— Si je l’ai vu… mais il a été même très aimable. Seulement, il a paru fort désappointé après avoir lu la missive. Il a même marmotté un ou deux jurons.

D’Aubières se mit à rire.

— Décidément, dit-il, Monsieur Montgomery se sera joué un bon tour sans l’avoir voulu. N’ayant pu faire parvenir son message et ayant découvert qu’il l’a perdu, il va tout bonnement s’attendre à l’attaque de la ville par ses troupes.

— Tiens ! fit tout à coup le père Ledoux qui faisait face à la rive qu’on venait de quitter, qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?

Instinctivement, Maurice et Mirabelle se retournèrent et de suite ils aperçurent la rive illuminée par les feux de bivouac que rallumait l’ennemi.

— Allons ! s’écria D’Aubières avec ironie, il faut reconnaître que monsieur Livingston est un fidèle soldat. Il exécute les ordres reçus. Il ordonne la retraite, et pour voir clair il fait rallumer les feux. Bravo ! Monsieur Montgomery est joué !…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Pendant ce temps-là, Lambruche suivant l’ordre qu’il avait reçu de son chef, entourait la maison de Lady Sylvia d’un bataillon de volontaires et lui-même allait frapper à la porte.

Tout était silence et obscurité.

Il fallut que le capitaine frappât trois fois et plus fort chaque fois pour obtenir une réponse.

À la fin une craintive soubrette vint ouvrir.

— Je désire parler à Lady Sylvia, dit Lambruche.

— Elle n’est pas ici, répondit la soubrette.

— Non ? N’importe ! j’entre, je m’étends sur un canapé et je l’attends tout en dormant un somme.

Et Lambruche fit comme il disait. De sorte que la soubrette avait à peine eu le temps de refermer la porte que le capitaine s’était déjà allongé sur un divan dans le vestiaire.

La soubrette se retira, amusée ou stupéfaite.

Lambruche somnolait béatement, ou du moins il en avait l’air.

Une lampe suspendue au plafond éclairait faiblement le lieu. Au bout de quelques minutes, une porte fut ouverte sans bruit, un homme s’avança de trois pas sur la pointe des pieds, tendit un bras armé d’un pistolet dans la direction du milicien et fit feu.

Lambruche sauta en l’air, retira son feutre et l’examina ; une balle l’avait percé.

Mais l’homme jetait un juron, lançait son pistolet fumant au loin, et armé d’une épée se ruait contre le capitaine.

Et cet homme était Cardel.

Lambruche éclata de rire, et de suite sa rapière heurta avec violence l’épée de l’émissaire. Cardel n’était certainement pas de force à tenir devant la rapière agile de Lambruche, aussi fut-il contraint, pour ne pas se voir percé de part en part, de reculer.

Dehors, un bruit terrible se faisait entendre. En effet, les volontaires de Lambruche, ayant entendu le coup de feu, assiégeaient la maison et tentaient d’enfoncer les portes de chêne fortement verrouillées.

Cardel, après avoir attaqué, se tenait à présent sur la défensive, et Lambruche ferraillait avec une telle rapidité que son adversaire était déjà hors d’haleine. Lambruche le poussait contre un mur où il allait à coup sûr l’y clouer. En effet, peu après Cardel se voyait acculé au mur…

À ce moment précis, la porte par laquelle l’émissaire était venu encadra la silhouette livide de Lady Sylvia. Mais c’était aussi une terrible Lady Sylvia, à voir l’éclat fulgurant de ses yeux, mais à voir surtout le pistolet qu’elle tenait dans sa fine main. Et elle ajusta Lambruche…

Celui-ci du coin de l’œil venait d’entrevoir la jeune femme. Il comprit que sa vie était au bout du pistolet qui le menaçait. Il fit une feinte, puis un bon en arrière, un autre bond de côté… Cardel, qui n’avait pas paru voir la jeune femme, essaya un coup mortel contre le capitaine… Mais à cette