Page:Féron - La revanche d'une race, paru dans L'Étoile du Nord, 1927-1928.djvu/109

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la lèvre frémissante, il demanda avec un calme effrayant :

— Savez-vous qui je voudrais frapper à cette heure ?

— Je suis très curieux de le savoir, répondit le docteur, qui affectait une parfaite tranquillité, tout en aspirant avec une certaine béatitude la fumée de son cigare

— C’est le pape !

— Le pape ! Pourquoi ?

— Parce qu’il est la tête de cette religion exécrée !

Le docteur esquissa un sourire ironique.

— Le pape rayé de la circulation, il en surgira un autre.

— Eh bien ! l’autre ensuite

— L’autre ! ricana le docteur… vous n’y arriverez jamais, c’est une hydre !

— Ah ! que faire… que faire ! gémit Harold avec un geste de colère impuissante.

— Laissez le pape tranquille et occupez-vous simplement de Marion et de votre fille.

Harold tressaillit ; son visage reprit subitement son expression ordinaire et, hormis ses regards qui se firent féroces, il répondit :

— C’est vrai, vous avez raison.

Et il alla se jeter dans son fauteuil où il se prit à réfléchir profondément.

Le Docteur, respectueux de cette rêverie tourmentée, observait du coin de l’œil celui dont il voulait faire son complice dans l’accomplissement de ses projets de mort.

Longtemps Harold demeura dans cette posture rêveuse.

Enfin, il releva la tête et regarda le docteur d’une façon étrange.

— Docteur, prononça-t-il, je suis résolu à tout. À quoi bon demeurer un homme respectable, quand il se trouve tant de gens qui ne savent pas reconnaître la respectabilité ! À quoi bon la pratique de toutes les vertus, si vous ne pouvez suivre une route honorable sans qu’on s’attaque et s’acharne à vous qu’on vous injurie et vous avilisse ! Et père dont la paternité est répudiée par sa seule et unique enfant, à quoi servira de tout faire pour resserrer des liens qui se brisent, qui se briseront bientôt irrémédiablement. Ah ! Docteur, s’écria-t-il en frappant la table de son poing, je me sens devenir mauvais, cruel, barbare ! Renié par ma fille, bafoué par le manant qui me la prend, je sens qu’aucune considération ne pourra plus me retenir dans la voie droite que j’ai toujours suivie. Docteur, ajouta-t-il avec une froide détermination, vous avez ma parole. Ma caisse vous est ouverte, si vous avez besoin. À Jules Marion d’abord !…

Le docteur Randall put difficilement réprimer un sourire de triomphe.

— Mon cher ami, fit-il négligemment, je ne