Page:Féron - La revanche d'une race, paru dans L'Étoile du Nord, 1927-1928.djvu/119

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annonçant à tue-tête : « Derniers Bulletins de l’État Major… Rapports sensationnels… Les Boches tapés « cinq sec » par les Poilus.  »

Les journaux se raflaient. La recette abondante imprimait aux lèvres des petits camelots des sourires de triomphe.

Dans la queue en zigzag qui s’allongeait vers les guichets bien des curieux avaient abandonné leur place très précieuse pour courir acheter un journal, tant ils étaient plus avides des « Rapports sensationnels de l’État Major » que de la pièce à l’affiche. Et les sourires de triomphe se faisaient narquois sur les lèvres des petits farceurs, tandis qu’ils reluquaient du coin de l’œil la comique transformation des physionomies de leurs clients, qui ne découvraient dans les bulletins des armées de la république que les rapports ordinaires : « Duel d’artillerie… Le calme a régné… Un avion allemand a été abattu… »

De même que les théâtres, les cabarets avaient eux aussi leurs habitués, et la recette était d’autant plus forte que plusieurs de ces cabarets demeuraient portes closes en l’absence du patron parti pour la tranchée.

En dépit de l’effroyable calamité qui était venue s’abattre sur la belle et noble France, le phénoménal Paris s’amusait comme Paris s’amusera toujours. Les pires catastrophes ne peuvent, dirait-on, l’empêcher de vivre et de rire !

Paris aime à rire !

Il a ri en même temps que grinçait la guillotine de "92… il a ri en "71… il riait encore au mois de novembre de 1915, comme il avait continué de rire en août 1914 !

Quoi ! Paris, qui ne rirait pas, ne serait plus Paris !…

Laissons boulevards, théâtres et cabarets, dirigeons nous un vers le quartier Saint-Lazare et gagnons la rue de Rome.

La demie de huit heures vient de sonner, la rue de Rome est presque déserte.

Collé au mur extérieur d’un immeuble, où ils sont presque invisibles, deux hommes causent à voix basse. L’un d’eux dit sur le ton de l’homme habitué à commander et avec un léger accent d’Outre-Rhin :

— Surtout n’oubliez pas la dépêche pour Bruxelles… c’est de la première importance !

— Soyez tranquille, répond le second personnage avec le meilleur accent germanique.

— Et si, par hasard, poursuit le premier on s’enquiert des troupes britanniques nouvellement débarquées, répondez que je tiendrai demain toutes les informations requises.

— Ensuite, au quartier-général du Prince dites seulement que j’ai dépêché un messager tout