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LA SECOUSSE

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ACTE DEUXIÈME


Même décor.

Scène Première

Mme BERNIER — LOUIS

(LOUIS, écrivent à une table. Il s’arrête pour allumer une cigarette.) Maman, mon père a raison : il faut que Jules partes. J’écris justement à l’un de nos correspondants au Brésil auquel nous le recommandons.

Mme BERNIER.(rangeant des bibelots.) Vous êtes cruels, toi et ton père !

LOUIS. — Comprenez donc, maman, que c’est pour votre bien comme pour le nôtre et celui de Jules. Ce garçon est en train de jeter le discrédit sur notre maison. Savez-vous ce qu’on m’a dit l’autre jour encore ? Que Jules aurait confié à des amis qu’il allait faire un scandale dont on parlerait longtemps.

Mme BERNIER. — Vous le poussez à bout, ton père et toi !

LOUIS. — Ce n’est toujours pas nous qui l’avons poussé dans le bourbier.

Mme BERNIER. — Non… mais vous faites tout pour l’y maintenir.

LOUIS. — Allons donc ! si Jules aime la boue, que pouvons-nous faire pour l’en tirer ? Voyez vous-même : depuis deux semaines il demeure introuvable. Il a disparu… engouffré peut-être dans la débauche.

Mme BERNIER.(s’approchant de son fils) Qu’en sais-tu ? Tiens écoute, Louis ; mon cœur appréhende un malheur dont tu pourrais être responsable !

LOUIS. — Oh ! ma mère, n’ai-je pas tout tenté pour ramener Jules dans la voie droite ?

Mme BERNIER. — Tu as tout fait pour l’en écarter !

LOUIS.(avec surprise) Comment ?

Mme BERNIER.(avec sévérité) En l’ayant perdu dans l’esprit et le cœur de celle qu’il aimait !

LOUIS.(haussant les épaules.) Il ne l’aimait pas, ma mère. Jules n’est pas de la trempe de ces hommes qui aiment sincèrement. Il eût fait le malheur de cette jeune fille. Quant à moi, j’ai agi pour obéir à ma conscience. J’ai compris que c’était mon devoir d’empêcher une catastrophe. Et je vous avouerai, pour dégager votre esprit de toute impression fausse, qu’Angélique n’a jamais aimé Jules sincèrement ; elle me l’a dit.

Mme BERNIER. — Pourquoi donc, aurait-elle avoué son amour à ton frère avant que tu ne l’eusses connue toi-même ?

LOUIS. — C’était un caprice de jeune fille. Son caprice a rencontré un autre caprice ; celui de Jules.

Mme BERNIER.(s’asseyant dans un fauteuil) Mon pauvre garçon, si cette fille a déjà de tels caprices, je te plains !

LOUIS. — Eh ! mon Dieu ! qui n’a pas de caprices à cet âge !

Mme BERNIER. — Soit, Mais je tiens à te dire une chose.

LOUIS. — Laquelle ?

Mme BERNIER. — Que je ne peux pas me résoudre à sacrifier l’avenir de Jules. Louis, il faut que tu t’imposes un sacrifice… il faut que tu renonces à ce mariage !

LOUIS.(avec ironie) Pour faire place à mon estimable frère ?

Mme BERNIER. — Oui… car en dépit de ce que tu affirmes, moi je crois qu’Angélique aime Jules… qu’elle le préfère à toi !

(Louis se mit à rire)

Oh ! ne ris pas, c’est très grave ! Mon instinct de femme et de mère ne peut me tromper. Angélique aime Jules ; mais si elle l’a délaissé, c’est pour la raison que tu lui as fait des promesses que tu ne pourras tenir ; c’est parce que tu lui as fait entrevoir des rêves qui ne se réaliseront pas. C’est une enfant, tu l’as dit, et elle se trouve en présence d’un mirage. Mais avec l’âge, avec les tracas du ménage, le mirage crèvera, et alors…

LOUIS. — Maman, ne vous fiez pas trop à votre instinct, cela peut tromper aussi. Une chose sûre, Angélique m’aime pour moi-même, et cent fois elle me l’a répété !

Mme BERNIER. — Eh bien ! cette fille n’a pas été sincère… elle n’est pas sincère… elle est même perverse. Oh ! alors, je te plains davantage ! Oh ! alors, je suis contente que Jules ne soit plus rien pour elle ! Oh ! dans quelle terrible aventure il se serait jeté en aveugle ! Et dans quel terrible engrenage tu vas à ton tour te jeter délibérément !

LOUIS. — Maman, vous vous faites des peurs…

Mme BERNIER. — Mais tu devrais être épouvanté également ! Tu ne vois donc pas clair ?… Heureusement que ce mariage n’est pas fait, et il ne se fera pas !

LOUIS. — Pourquoi ?

Mme BERNIER. — Parce que je ne le voudrai pas, parce que je m’y opposerai !

LOUIS. — Vous vous opposerez ?

Mme BERNIER. — Malgré toi, je te sauverai du gouffre !

LOUIS. — Un gouffre ! Quel gouffre ?

Mme BERNIER. — Mais ton mariage… qui ne se fera pas !

LOUIS.(s’irritant) Il se fera, puisque j’ai le consentement de mon père !

Mme BERNIER.(avec amertume) Ah ! c’est vrai… j’oublie toujours que vous savez bien vous passer de moi dans les décisions graves, ton père et toi ! Au fait, qu’est-ce que je suis dans cette maison ?

LOUIS. — Maman, je vous respecte et vous estime, malgré les préférences que vous avez toujours montrées pour Jules.

Mme BERNIER. — N’a-t-il pas mérité ces préférences par l’amour qu’il a pour sa mère ? Toi, qu’as-tu fait pour que je t’aime mieux, ou, du moins, tout autant ? Rien. Tu t’es ligué avec ton père pour faire avorter tous mes projets. Sans cesse vous m’avez tenue à l’écart. C’est à peine si, par ci par là, vous avez daigné me demander mon avis. Si je soumettais une opinion, si je donnais un conseil, vous saviez toujours