ques velours pour leurs dulcinées. Quelques filles d’artisans y venaient aussi acheter des soies communes et à fort bon marché, ne pouvant se payer les soies luxueuses des grosses boutiques de la haute-ville. C’est là que Jean Lambert avait connu la petite blonde et c’est là qu’il l’avait, un jour, fiancée.
Lambert avait vingt-six ans, Cécile, dix-neuf ans. Ils se trouvaient donc d’âges raisonnables et équivalents.
La seule chose qui clochait un peu, comme disaient certaines commères du voisinage, Lambert et Cécile n’étaient pas tout à fait assortis quant à la taille : car Cécile, de sa tête, n’arrivait pas à toucher l’épaule de son grand Jean. Mais c’est égal, c’étaient deux jeunesses qui pouvaient fort bien s’entendre et se prendre.
— Ah ! mon pauvre Jean ! disait Cécile en cheminant, si tu savais comme la mère est dans les transes depuis ce midi…
— À cause des Américains qu’on dit en arrière de Lévis ?
— Tout juste. Elle s’attend qu’on va être bombardés dès la nuit prochaine, et elle a commencé à emménager les marchandises dans la cave.
— Elle se presse bien.
— C’est ce que je lui ai dit… mais elle ne veut rien entendre. « Il ne faut pas prendre de risques, m’a-t-elle dit, les boulets peuvent commencer à pleuvoir avant la nuit ! Ah ! ces gueux d’Américains… ne pouvaient-ils rester chez eux !… »
Et Cécile en riant très fort, ajouta :
— Jean, c’est vraiment très drôle de l’entendre !
— Et tu ris de cela, toi ? sourit Jean Lambert.
— Bon, penses-tu, mon grand, que je vais me mettre à pleurer ? Tu sais bien, puisque tu prétends me connaître, que l’arrivée de ces Américains ne m’effraye pas le moins du monde. Et veux-tu savoir autre chose ?
— Voyons !
— J’irais à tes côtés derrière les barricades.
— Quand les Américains seront de l’autre côté ?
— Quelle sotte question ! se fâcha Cécile. On sait bien… quand les Américains y seront !
— Petite folle ! qu’est-ce que tu y ferais ?
— Oh ! peu de chose, je sais bien. Tout de même, j’aurais toujours le plaisir de me faire tuer pour mon pays !
— Brave petite fille ! fit Lambert avec admiration.
— Ensuite, mon Jean, je ne suis pas une petite fille ! Et Cécile, avec une petite moue de défi, haussa sa tête à l’épaule de Lambert.
— C’est bon, sourit Lambert, tu es une charmante petite femme, et je t’aime bien.
— C’est vrai, au moins ?
— C’est si vrai que je suis là, tu sais, et que je ne permettrai pas, lorsque les Américains…
— Qu’est-ce que tu ne permettras pas ?
— D’aller te fourrer le nez derrière les barricades.
Cécile se mit à rire à pleine bouche.
— Ensuite, ma mie, reprit Lambert très sérieux, tu ne seras pas même en ville lorsque les Américains seront autour… s’ils y viennent jamais !
— Non ?…
— J’irai, auparavant, vous conduire ta mère et toi, à Charlesbourg, dans la petite maison que m’a léguée le père Dussaut.
— Le vieux sacristain ?
— Oui. C’est tout ce que je possède, avec le petit lopin de terre qui y est attenant, mais c’est à toi comme à moi, tu sais ? Et comme tu le vois d’ici, cette petite propriété te deviendra utile.
— Mais je n’irai pas !
— Non ?…
— Jamais !
— Tu vas rester ici, même si des Américains assiègent la ville ?
— J’y resterai sûrement !
— Tu veux donc te faire tuer à tout prix ?
— Je veux voir ça.
— Tu es folle !
— Mon père a vu le siège de 1759, et moi j’étais alors trop jeune ; mais celui-ci, je veux le voir.
— Mais observe que ton père y a reçu des blessures qui lui ont été fatales.
— Qu’est-ce que cela prouve ? Suis-je morte, moi ? Ma mère est-elle morte ?… Et pourtant ma mère s’en souvient et elle me dit souvent que ce n’était pas drôle ! Tout flambait à la haute-ville… ici tout s’écroulait sous les boulets des Anglais. Il y avait des navires droit en face de nous, et souvent les boulets, tirés trop bas, ricochaient contre le cap et tombaient sur les toits des maisons.
— Aussi, avez-vous passé proche de la mort !…
— Deux boulets seulement ont défoncé le toit de notre maison… Nous étions dans la cave… Oh ! je ne m’en rappelle pas beaucoup, je n’avais que quatre ans. Mais ma