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LA TAVERNE DU DIABLE

Cécile ne fit entendre qu’un faible gémissement. Un moment, elle demeura les deux mains crispées à la tenture tout en regardant, comme avec douleur ou épouvante, Rowley qui, à deux pas, tremblait, épouvanté lui aussi de son acte. Puis elle ferma les yeux, ses doigts se détendirent lentement, elle s’écrasa contre la porte.

À cet instant la porte du vestibule s’ouvrait, et un garde, qui avait probablement entendu quelque chose d’insolite, jeta dans l’antichambre un coup d’œil curieux. Il aperçut de suite Cécile, le visage livide, qui venait de tomber. Alors le garde dans la seconde même comprit : il se rua contre Rowley. Mais celui-ci, ivre de sang, fou de rage et d’épouvante, bondit, et du poignard rouge encore du sang de Cécile, il troua la gorge du garde, qui tomba à la renverse.

De ce moment le major n’était plus qu’une bête fauve. Il s’élança dans le vestibule pour fuir hors du Château, le poignard toujours serré dans sa main droite, un pistolet dans sa main gauche. Deux gardes étaient postés devant la grande porte. Sur l’un Rowley déchargea son pistolet, sur l’autre il brandit son poignard, mais ce dernier esquiva le coup en prenant la fuite pour aller chercher d’autres gardes. Mais quand gardes et soldats, attirés par le coup de pistolet arrivèrent, Rowley avait disparu.

Mais le coup de pistolet, avait été entendu également de Carleton et de Lambert qui était en train de faire le récit de l’aventure qu’il avait eue la nuit précédente. Tous deux se précipitèrent vers l’antichambre. Carleton arriva le premier, il ouvrit la porte et s’arrêta net, frappé de surprise, en découvrant à ses pieds le corps inanimé de Cécile Daurac.

Lambert venait de pousser un cri terrible. Il enleva Carleton, le repoussa loin de lui, et se jeta à genoux près de Cécile ensanglantée et évanouie.

— Cécile ! Cécile ! gémit Lambert, qui t’a frappée que je te venge !

Gardes et soldats accouraient.

— Où est l’assassin ? rugit Lambert en bondissant l’épée à la main.

Le garde, qui avait échappé au poignard de Rowley, expliqua la scène du vestibule et la fuite du major.

Tout le Château retentissait de rumeurs confuses : le coup de pistolet, les cris des gardes avaient été entendus de toutes parts.

— Des femmes ! commanda Carleton… qu’on aille chercher des femmes pour prendre soin de mademoiselle !

Un valet s’élança hors de l’antichambre.

Lambert se pencha sur Cécile qui reprenait ses sens. Elle lui sourit.

— Cécile, êtes-vous gravement blessée ? demanda le jeune homme avec angoisse ?

— Non, mon Jean… je ne pense pas. Mais ce poignard m’a fait bien mal ! Aide-moi à me relever, Jean !

De son épaule gauche du sang coulait en abondance.

Le général appela un domestique et lui dit :

— Allez prévenir le major Hawkes qu’il est mandé à l’instant !

Le domestique obéit.

Des caméristes arrivaient à ce moment tout effarées.

Cécile s’était remise debout et Lambert la soutenait.

— Coufiez mademoiselle à ces femmes, dit Carleton, elle en recevra tous les soins en attendant que le chirurgien de service s’occupe de sa blessure !

La jeune fille fut emmenée par les caméristes.

Les gardes et soldats, durant ce temps, relevaient les deux gardes tués par Rowley, l’un par un coup de poignard, l’autre par une balle de pistolet.

Lambert s’approcha de Carleton et dit :

— Général, voici le dénouement d’un drame qui prouve assez clairement l’innocence de Cécile et la mienne au sujet du complot de la nuit dernière, et qui prouve en même temps la culpabilité du major Rowley.

— Je n’ai jamais douté de votre innocence pas plus que de l’innocence de mademoiselle Cécile, répondit Carleton ; seulement je voulais arriver à la vérité.

— Vous venez d’acquérir cette vérité, répliqua Lambert. Le malheur, c’est que le traître et l’assassin échappe.

— Oui, mais si je vous demandais de le rattraper lieutenant ? demanda Carleton.

— Me donnez-vous carte blanche ?

— Certainement. Ramenez-moi cet homme enchaîné, ou simplement son cadavre… mais ramenez-moi le traître !

— Général, répondit Lambert avec un regard terrible, je vous ramènerai… les traîtres !

Il fit le salut militaire, pivota et, sortit du Château.

— Et maintenant, murmura Lambert en descendant vers la ville basse, Lymburner, Rowley et compagnie, gare à vous !…