Page:Féron - La taverne du diable, 1926.djvu/53

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
51
LA TAVERNE DU DIABLE

pas. Derrière ses volets hermétiquement fermés le plus grand silence régnait.

— Comment allons-nous entrer là ? demanda Dumas qui venait de s’arrêter.

— Je connais le chemin, répondit Lambert ; suis-moi !

Il prit les devants et enfila un passage, à gauche, qui conduisait à l’arrière de la taverne. Il s’arrêta devant un tonneau vide, l’écarta doucement, découvrit un soupirail de la cave et dit :

— Voici l’entrée !

Dumas sourit.

— Puisque, dit-il, tu connais l’entrée et les aîtres, passe le premier, je te suis.

Lambert poussa le soupirail, se glissa les pieds en avant et se trouva bientôt debout dans la cave.

— Fais comme moi, dit-il à Dumas.

L’instant d’après, lorsque le tonneau eut été remis à sa place ou à peu près, les deux amis se trouvèrent plongés dans une profonde obscurité.

— As-tu une bougie… un flambeau ? interrogea le capitaine.

— Non… je n’ai pas songé à cela, répliqua Lambert.

— Mais comment allons-nous nous guider dans cette noirceur, je n’ai pas des yeux de chat.

— Attends, dit Lambert.

Le lieutenant releva le soupirail, contre la vitre duquel on avait cloué une mince planchette qui empêchait le jour d’entrer.

Une fois le soupirail levé, il pénétrait assez de clarté pour permettre de se faire un chemin au travers un pêle-mêle de tonneaux, de fûts, de futailles, de caisses. À une extrémité de la cave un escalier s’élevait vers le rez-de-chaussée.

— Voilà l’escalier qu’il s’agit d’atteindre ! dit Lambert.

Dumas étudia d’un regard rapide l’ensemble des choses qui s’offraient à ses yeux, et il reconnut, à travers caisses et tonneaux, comme une sorte de sentier en zigzag qui conduisait vers l’escalier.

— C’est bon, dit-il, ferme le soupirail, je tiens le chemin.

Lentement et à tâtons les deux hommes arrivèrent peu après au pied de l’escalier où ils s’arrêtèrent pour se consulter.

— Écoutons ! dit Dumas.

Un murmure confus de voix humaines arrivait jusqu’à leurs oreilles, mais il était impossible de saisir aucune parole ou de reconnaître aucune voix.

— Avant de ne rien entreprendre, reprit Dumas, il serait bon de savoir au juste à qui nous avons affaire. Comme tu es moins lourd que moi, monte l’escalier et tâche de reconnaître les voix de là-haut en appliquant l’oreille contre le plancher. Tu découvriras peut-être un interstice, une fente… que sais-je ?

Lambert obéit. Il n’avait pas grimpé deux marches que Dumas le retint brusquement par les basques de son manteau. Et le capitaine, se penchant à son oreille, lui murmura :

— Regarde… qu’est-ce que cela ? Vois-tu le soupirail qu’on ouvre.

En effet, le soupirail de la cave venait d’être poussé du dehors, et la minute d’après un être humain, dont ils ne purent reconnaître la physionomie, se laissa glisser rapidement dans la cave.

Lambert, dit dans un souffle :

— Il faut nous emparer de cet homme !

— C’est bien, répondit Dumas.

Tous deux se postèrent devant l’escalier.

Ils entendaient l’inconnu s’approcher lentement et avec beaucoup de précautions.

Deux minutes s’écoulèrent.

L’inconnu arriva devant l’escalier et tendit les mains comme pour s’assurer de son chemin.

Alors des mains saisirent brusquement les siennes, deux autres mains se posèrent brutalement sur sa bouche pour réprimer tout cri. Mais l’inconnu avait eu le temps de pousser un léger cri… et chose étrange, c’était un cri de femme.

— Miss Tracey ! prononça Lambert avec surprise.

La jeune fille reconnut également la voix de Lambert, et elle demeura comme frappée d’hypnotisme.

Mais il n’y avait pas d’explications possibles à demander ou à donner de part et d’autre. Les deux amis poussèrent vivement la jeune fille sous l’escalier où promptement Lambert, la bâillonna.

— Il faut aussi la ligoter, souffla Dumas. As-tu des cordes ?

— Non, répondit Lambert. Que faire ?…

À cet instant un pas résonna sur le plancher supérieur, dans la direction de la trappe.

— Alerte ! fit Dumas, qui saisit ses pistolets.

Lambert prit un poignard et l’appliquant sur la gorge de la jeune fille, dit sur un ton résolu :

— Un mot, un geste, un gémissement de votre part, Miss Tracey, et je vous troue votre jolie gorge d’outre en outre !