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LA TAVERNE DU DIABLE

ques centaines d’hommes de la basse-ville. Il en avait pris un certain nombre à chaque barricade et chaque barrière. C’est ainsi que les barricades de la rue Champlain, comme celles de la rue Sault-au-Matelot avaient été en partie dégarnies.

La barricade du capitaine Marcoux comptait sept pièces de canon, mais c’étaient de petits canons, dont quatre avaient été chargés à mitraille.

Ces barricades étaient faites de grosses pièces de bois jetées transversalement et superposées les unes sur les autres jusqu’à une hauteur d’environ trois mètres, elles formaient. comme deux murs avec un mètre de distance l’un de l’autre ; des tiges de fer fixées de distance en distance retenaient les deux murs et en faisaient un tout solide. À mesure que la barricade s’élevait ou remplissait l’espace entre les deux murs de pierre et de terre, en ayant soin de laisser ça et là des meurtrières à l’usage des défenseurs. Quelques-unes de ces barricades étaient composées de trois murs, ce qui leur donnait une plus forte résistance contre les boulets de canon. Celle du capitaine Marcoux avait trois murs. Par surcroît elle possédait jusqu’à près de deux mètres de hauteur un quatrième mur de soutènement, ou mieux c’était une sorte de terrasse où les gardiens pouvaient se coucher à plat ventre et surveiller l’ennemi par des meurtrières pratiquées à peu près au ras de la terrasse. Cette barricade était l’une des plus solides de la basse-ville. Si telle barricade eût été de préférence dressée rue Sault-au-Matelot, il est douteux que les Américains fussent entrés dans la place.

Le capitaine Marcoux avait chargé Lambert de la batterie qui avait été juchée sur le mur de soutènement. Deux canons à mitraille séparés par un canon à boulet étaient placés au centre de la barricade. Puis à distance égale de là, à droite et à gauche, avaient été disposés les quatre autres canons, dont deux à mitraille et deux à boulets.

La tempête avait un peu diminué, le vent soufflait moins fort, la neige tombait moins drue. D’un autre côté, le froid grandissait. Le moment n’était pas mauvais pour la bataille.

Le capitaine Marcoux avait assigné à chacun de ses hommes son poste de combat. Il était prêt à recevoir les Américains.

Là, de ce côté le plus grand silence régnait, hormis les sifflements de la rafale et le bruissement de la neige.

De la haute-ville arrivaient les bruits du combat, et surtout le grondement de la grosse artillerie. Des cloches continuaient de sonner le tocsin. À l’est, du côté de la rivière Saint-Charles, on commençait à percevoir quelques coups de fusils : c’est que le colonel Arnold allait, peu après Montgomery à la rue Champlain, attaquer les barricades de la rue Sault-au-Matelot. Ces coups de fusils qu’on entendait, c’étaient les décharges faites par les sentinelles avancées.

Mais pour ne pas nous écarter de l’ordre chronologique des faits, nous narrerons d’abord l’attaque de la rue Champlain.

Montgomery et ses hommes s’étaient approchés à pas de loup de la barricade. Il était impossible de les voir à travers le brouillard de neige. Seulement on pouvait saisir le bruit de leurs voix et de leurs pas. Ils s’étaient arrêtés à environ cinquante pas. Montgomery avait eu l’idée d’amener avec lui un canadien, qui avait reçu mission de chercher à entamer des pourparlers avant d’attaquer. Aussi, lorsque la troupe s’arrêta à cinquante pas de la barricade, ce canadien cria :

— Holà ! Canadiens, mes frères… nous vous apportons la liberté !

— Feu ! rugit en réponse la voix tonnante de Jean Lambert.

Trois canons à la fois crachèrent leurs boulets sur la troupe américaine au travers de laquelle ils se tracèrent un chemin sanglant.

Montgomery résolut de mettre de côté toute diplomatie : il lança ses hommes à l’attaque.

Ils furent reçus cette fois par une décharge de mousqueterie qui clairsema leurs rangs.

Montgomery fit resserrer les rangs et apprêter les échelles : il avait, disons-le, réussi à faire transporter jusque-là trois échelles. Et au moment où il donnait l’ordre d’avancer sur la barricade, de nouveau la voix de Lambert rugit :

— Feu !…

Cette fois, les quatre canons à mitraille firent une terrible trouée dans les rangs ennemis. Mais Montgomery avait donné l’élan…

Cent de ses hommes étaient arrivés à la barricade, et deux échelles avaient été apportées. Ce que voyant, Lambert monta sur la barricade, indifférent aux balles qui lui sifflaient aux oreilles. Il fit monter près de lui trente de ses hommes et tandis que ceux-ci faisaient un feu plongeant sur les Américains arrêtés au pied de la barricade, Marcoux commandait aux autres défenseurs couchés sur la