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LA VIERGE D’IVOIRE

sister aux suprêmes moments de Lysiane.

Le jeune homme s’était donc approché du lit de la moribonde, l’avait regardée longuement, puis il s’était écarté brusquement en sanglotant. Et sans un mot d’explications, à la profonde stupéfaction de M. et de Mme Roussel le jeune homme s’en alla, il s’en alla pleurant de tous ses yeux et de tout son cœur… mais il s’en alla comme un fuyard !

Au fond de son âme ce cri lugubre s’élevait :

— Adieu, Lysiane ! Adieu ! nous ne pourrons pas être l’un à l’autre… Dieu te rappelle à lui !

Oui, ce jeune homme avait été frappé par une douleur terrible ! Car, en dépit de l’incapacité de la science médicale, il avait conservé un dernier espoir : peut-être que la nature forte et saine de Lysiane reprendrait le dessus ! Mais voilà que, sans s’y attendre sitôt, il venait de voir un cadavre ! La vue de ce cadavre l’avait frappé au cœur mortellement peut-être !

Il voulut échapper à sa douleur : il demanda un congé de deux mois et s’en alla aux États-Unis. Il ne voulait pas être dans cette même ville où bientôt, dans quelques jours, on mettrait en terre le corps de celle qu’il avait aimée jusqu’à la folie ! Il ne voulait pas être là, afin de n’être pas forcé d’assister aux funérailles ; car alors il savait qu’il ne pourrait contenir sa douleur, et cette douleur il voulait la dérober aux yeux des profanes ! N’importe ! Fernand était parti comme un lâche… il avait déserté tout au moins ceux qu’il aurait dû consoler et encourager, c’est-à-dire M. et Mme Roussel ! Mais enfin la douleur ne se contrôle pas, et l’on ne peut pas condamner toujours les actes d’un homme, quand ces actes ont été le fait de circonstances imprévues et terribles qui, un moment, peuvent dérouter l’homme le plus fort et le plus habile.

Quant à Lysiane, elle n’avait pas eu connaissance de la présence de Fernand près de son lit ; elle était demeurée comme avant, immobile et les yeux fermés.

Le silence demeurait profond. Le père et la mère restaient comme statufiés devant la couche funèbre, la bouche crispée par la douleur immense, les yeux rougis et lourds.

Une heure s’écoula ainsi. Tout à coup la moribonde ouvrit ses yeux, tourna ses regards agonisants vers sa mère, sourit imperceptiblement et demanda dans un souffle épuisé :

— Maman… je voudrais bien avoir ma Vierge d’Ivoire !

Mme Roussel se pencha sur sa fille et, pleurant encore, répondit :

— Tu l’as perdue, ma pauvre enfant !

— Je sais, je sais murmura Lysiane avec une sorte d’impatience. Mais si on la cherchait…

M. Roussel regardait sa femme sans comprendre.

Elle lui expliqua :

— Elle parle de cette petite statuette en ivoire que lui avait donnée un jour, comme talisman, la supérieure du pensionnat. C’est un objet unique en son genre. Te rappelles-tu ?

— Oui, je me souviens. Lysiane me l’a montrée une fois. Mais j’ignorais qu’elle l’eût perdue.

— Elle l’a perdue justement quelques jours avant sa maladie, au mois d’octobre dernier. Est-ce vrai, chérie ?

— Oui, c’est en revenant de Notre-Dame où j’étais allée faire une visite.

— Tu voudrais la ravoir ? demanda M. Roussel.

— Oui il me semble que je mourrais mieux en paix !

— Mais il y a longtemps, on a dû la ramasser… Pourquoi ne m’as-tu pas dit cela plus tôt ?

— J’étais malade, je ne savais pas que je l’avais perdue…

— Elle m’a confié cette perte longtemps après, dit Mme Roussel.

La jeune fille avait repris son immobilité de l’instant d’avant. Seulement sa respiration était plus accentuée, presque rauque, comme si l’effort qu’elle avait fait pour parler l’eût très fatiguée.

— Sais-tu ce que je ferais, mon ami ? murmura Mme Roussel.

— Parle, Laure, je suivrai ton conseil.

— Je mettrais un avis dans les journaux.