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Page:Féron - La vierge d'ivoire, c1930.djvu/38

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LA VIERGE D’IVOIRE

da Hortense avec son front barré d’un pli d’entêtement.

Le négociant la regarda avec surprise et frayeur.

— Venir elle-même… s’écria-t-il. Mais Philippe ne vous a donc pas dit qu’elle est mourante… qu’elle n’a pas même la force de sourire ?

— Oui, c’est vrai, Philippe m’a dit cela.

— Vous voyez bien

— Oui, oui. Eh ! bien ! je veux voir votre fille, monsieur.

— Vous voulez la voir !

— Oui. Conduisez-moi auprès d’elle.

Mais pourquoi ? fit le négociant avec un étonnement croissant.

— Parce que je veux la voir.

— Vous ne pensez donc pas que je vous dis la vérité ?

— Je pense que vous dites la vérité, mais moi, je veux voir votre fille. Et en même temps que ces paroles Hortense jeta un regard mystérieux à Philippe qui, croyant que, comme lui, M. Roussel allait se heurter au fol entêtement de la jeune, chancelait d’épouvante. Car à chaque minute passée il redoutait qu’on vint annoncer la mort de Lysiane.

M. Roussel, devant l’insistance étrange de l’ouvrière, consulta Philippe du regard.

— Soumettez-vous ! conseilla Philippe.

— Soit, dit M. Roussel. Allez, dit-il aussitôt au jeune homme, cherchez un fiacre et nous nous rendrons chez moi tous les trois.

Philippe obéit. Quelques minutes plus tard les trois personnages filaient vers la rue Sainte-Famille.

Quand ils pénétrèrent dans la chambre de Lysiane, ils trouvèrent Mme Roussel en pleurs et le docteur Rouleau au chevet de l’agonisante tenant une de ses mains.

Le négociant se précipita vers sa fille.

— Lysiane ! Lysiane ! gémit-il.

Le docteur l’arrêta.

— Monsieur, c’est fini… deux ou trois minutes encore, et…

— Ah ! non, non, cela ne se peut pas !

Et s’écrasant à deux genoux M. Roussel se mit à pleurer.

Tout doucement Hortense s’était approchée pour jeter par-dessus l’épaule du médecin un regard curieux sur la forme inerte de Lysiane. En voyant la rigidité de ce jeune corps — car Lysiane avait toutes les apparences d’une morte — Hortense blêmit et se recula effrayée.

Philippe, derrière elle, lui souffla à l’oreille ces paroles terribles :

— Hortense, tu l’as peut-être tuée !

La jeune fille chancela en étouffant un sanglot. Puis, fébrilement, elle fouilla sa sacoche, en tira la statuette et, courant près de la malade, elle la lui mit dans la main, disant :

— Mademoiselle, tenez voici votre Vierge d’Ivoire !

Surpris, le docteur Rouleau s’était brusquement écarté, et tous alors purent assister à une scène très émouvante.

Hortense s’était agenouillée et retenait la main de la moribonde dans laquelle elle avait placé la statuette ; et la main inerte de la malade s’était crispée avec force sur la petite vierge, un sourire heureux s’était imprimé sur ses lèvres et un long soupir s’était exhalé de sa poitrine. Puis Lysiane avait relevé ses paupières, ses regards surpris se posaient avec joie et reconnaissance sur les personnes qui l’entouraient.

Elle vit Hortense qui, à genoux, pleurait : ses regards s’humectèrent d’attendrissement. Elle vit ensuite Philippe et lui sourit. Puis elle regarda son père et sa mère avec amour et murmura :

— Je suis contente !

Et soudain — était-ce donc encore un miracle ? — Lysiane — oui, Lysiane qui n’avait pas remué depuis deux mois — Lysiane se souleva à demi, presque sans difficulté, attira à elle la tête châtelaine d’Hortense et sur le front de l’ouvrière déposa un long baiser.

— Merci ! balbutia-t-elle dans un spasme joyeux.

Elle se renversa aussitôt, reprit sa posture d’avant, porta la statuette à ses lèvres sur lesquelles elle la tint longuement pressée, et parut s’endormir d’un sommeil paisible.

Alors le docteur constata que des rougeurs vives couraient sur le visage de