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LA VIERGE D’IVOIRE

la malade. Il saisit vivement un poignet de la jeune fille et, avec le plus grand étonnement, découvrit que le pouls battait régulièrement.

— Monsieur Roussel, prononça-t-il d’une voix troublée par l’émotion, je pense que votre fille va vivre encore !

Un frisson de joie immense secoua tous les personnages de cette scène presque sublime.


XII

LE COUP DE MASSUE


À huit heures de là, Fernand Drolet se présentait à la pension d’Hortense. Il n’avait pas revu sa fiancée depuis le retour à Montréal.

Il la trouva très heureuse.

— Fernand, dit-elle de suite avec une petite pointe de taquinerie, tu m’as caché quelque chose de ta vie passée !

Le jeune homme regarda la jeune fille avec une surprise inquiète.

— Moi, dit-il en pâlissant un peu. Mais qu’ai-je donc pu te cacher de si grave, ma jolie ?

Il essaya de rire.

— Oh ! ne ris pas surtout ! gronda légèrement Hortense. C’est peut-être plus grave que tu ne penses.

— Eh bien, voyons !

— Écoute. Tu ne m’as pas dit que tu avais été en amours avant de me connaître et de me fiancer ?

— Ah ! bon se mit à rire Fernand. Je suis donc un criminel à vos beaux yeux. Mais vous, enfant trop peu coquette, vous allez me dire et me jurer que vous n’avez jamais été amoureuse d’un autre que moi ?

— Non… je ne jurerai pas…

— Ah ! Ah ! riait toujours Fernand, c’est là que je vous y prends !

— Ah ! là, à la fin, avec tous tes vous tu m’agaces.

— N’importe ! je t’y prends bien !

— Moi… ce n’était pas grave !

— Non ? Et moi donc ?

— Toi, Fernand, tu as aimé jusqu’à la folie… du moins on me l’a affirmé. Et quand un jour, on a dit que celle que tu aimais allait mourir peut-être, tu t’es enfui ! Est-ce la vérité ?

Fernand Drolet devint livide et regarda avec des yeux égarés Hortense.

— Tu ne dis rien ? demanda celle-ci.

Fernand baissa la tête, rougit et balbutia :

— C’est la vérité Hortense. Mais je ne t’ai pas dit que mon père m’avait écrit à Burlington que je ne devais plus espérer, que cette jeune fille allait mourir, à moins qu’elle ne fut morte déjà à l’heure où il m’écrivait, et qu’il importait que je cherchasse ailleurs une autre compagne. Sur ces entrefaites, Hortense, je t’ai rencontrée

— Tu ne sais donc pas que celle que tu pensais perdue, est maintenant sauvée ?

— Sauvée ! Fernand chancela.

— Oui, guérie… par miracle !

— Lysiane, guérie !

— Vivante comme nous deux Fernand !

— Mais… tu la connais donc ?

— C’est moi qui l’ai sauvée !

— Toi !

Fernand cette fois regarda Hortense comme l’on peut regarder une personne que l’on croit détraquée.

— Cela t’étonne hein ? Pourtant c’est simple, puisque je sais toute ton histoire avec cette Lysiane.

Puis Hortense, qui paraissait fort s’amuser des émotions diverses par lesquelles elle voyait passer son fiancé se mit à lui faire le récit de la Vierge d’Ivoire.

— Et tu es sûre, Hortense, que Lysiane est tout à fait guérie ?

— Je te dis que je l’ai sauvée !

— Ho !…

En même temps que cette exclamation Fernand prit sa tête à deux mains, la serrant avec force comme si elle eût fait très mal et demeura ainsi, silencieux et sombre. Et, tout à coup, il saisit son chapeau et sortit précipitamment.

— Fernand ! Fernand ! cria Hortense saisie par un émoi indicible.

Fernand dégringolait l’escalier comme un fou.

— Fernand ! Fernand ! clama Hortense avec un sanglot dans la voix.

Elle s’élança sur les pas du jeune homme. Dehors, sur la place Jacques-Cartier, elle le vit sauter dans un fiacre qu’elle vit ensuite filer à toute allure.