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LA VIERGE D’IVOIRE

— N’a-t-il pas retrouvé sa Lysiane ?

— Elle n’est plus pour lui !

— Que dites-vous ? s’écria Hortense en bondissant. Lysiane serait-elle morte ?

— Non, rassurez-vous. Néanmoins, pour mon fils, c’est tout comme : Lysiane a donné sa main à un autre !

Hortense se mit à rire avec sarcasme :

— Bon ! je parie que l’autre c’est Philippe Danjou ?

— C’est vrai !

— Ainsi, je peux comprendre que votre Fernand est très malheureux à cause de ce mariage ?

— Très malheureux… c’est vous qui le dites.

— Et vous pensez que je pourrais peut-être le ramener à l’espoir de la vie, à la joie ?

— Je le pense, mademoiselle. C’est pourquoi vous me voyez accourir près de vous.

— Comme ça, ça vous ferait plaisir que je sois la femme de votre Fernand ?

Puisque vous ramènerez la joie et le bonheur chez nous !

— Mais il aime l’autre encore ?

— Hélas ! fit seulement M. Drolet en baissant la tête.

— Et moi… il ne m’aime pas… il ne m’aime plus !

— Il vous estime certainement… vous aime peut-être encore ! Mais en ce moment, il est comme fou. Si on lui parle de vous, il ne sait pas au juste.

— Ah ! monsieur Drolet, soupira Hortense, je sais bien que s’il m’aime encore, cela ne peut être autant que l’autre ; je l’ai bien compris quand j’ai vu Fernand la dernière fois. Oh ! vous savez, je ne l’en blâme pas ! Pauvre garçon ! je sais bien moi aussi qu’on ne peut pas se défendre des sentiments qui envahissent notre âme. Vous voyez, moi, je suis comme lui : je voudrais chasser de mon cœur et de mon esprit ce que je ressens pour lui, mais…

— Vraiment, vous l’aimez ?

— Vraiment ! Moi ! Mais regardez donc dans mes yeux, vous y verrez jusqu’au tréfonds de mon âme : ce n’est pas un secret ! Alors comprenez-vous que je l’aime ? Eh bien ! je l’aime assez que, si cela m’était possible, je lui donnerais sa Lysiane… je la lui donnerais, vrai comme vous êtes là !

— Vous feriez cela ?

— Si vous l’exigez, je vais le faire !

— Il est trop tard, vous ne pourriez pas, et je ne le voudrais pas ! répliqua M. Drolet en secouant la tête.

— Ô mon Dieu ! dit Hortense avec un soupir atroce, ce que nous sommes misérables, des fois, dans ce monde !

La jeune fille laissa tomber sa belle tête sur l’épaule de M. Drolet et pleura.

Très ému, le père de Fernand posa ses lèvres sur le front de la jeune fille et murmura dans une prière :

— Hortense, venez voir Fernand !

La jeune fille leva sa tête regarda M. Drolet dans les yeux un moment, et, sans mot dire, elle arrangea sa coiffure, ajusta un chapeau sur sa tête et soupira faiblement ce mot :

— Allons !

Ils trouvèrent Fernand assis au pupitre de son père et écrivant une longue lettre. Il paraissait très calme.

À la vue d’Hortense, il se leva vivement, courut à elle et l’embrassa tendrement avec ces paroles :

— Vous arrivez bien, ma chère amie, je vous écrivais mes adieux.

L’accent du jeune homme était plutôt badin, et ses lèvres souriaient pleinement. Hortense pensa que, en effet, le jeune homme n’était pas tout à lui, comme on dit.

Elle tressaillit d’une vive émotion

Un moment elle considéra le jeune homme qui, muet, ne cessait de lui sourire. Puis, elle s’écarta, s’approcha de M. Drolet et lui souffla à l’oreille :

— Laissez-moi seule avec lui !

M. Drolet se retira.

Alors Hortense, à l’extrême stupéfaction de Fernand, enleva son chapeau qu’elle laissa tomber par terre, jeta sa mante sur un meuble, se jeta au cou du jeune homme et, avec une vigueur prodigieuse, elle l’entraina vers un sofa, le fit asseoir de force et tout en le tenant pressé fortement sur elle, elle dit d’une voix frémissante :

— Tue-moi plutôt, Fernand, que de me dire adieu !