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LA VIERGE D’IVOIRE

— Oui, ma chère Lysiane, répondit Philippe étouffant d’une joie inouïe ; à Pâques nous serons l’un à l’autre, puisque monsieur Roussel et votre mère y consentent !

— Ah ! Philippe ! s’écria Lysiane avec ravissement, c’est ma Vierge d’Ivoire qui a fait tout cela !…

— Je vous crois Lysiane !

Et de ces quatre cœurs pétris de la même foi grandiose jaillit une suprême louange à la Vierge de là-haut.


XIII

LE DÉSESPOIR DE FERNAND


Fernand Drolet était retourné chez lui pour toujours désespéré.

Ses parents essayèrent tout pour le consoler.

— Tu l’aimes donc encore, cette pauvre Lysiane ? interrogea Mme Drolet.

— Si je l’aime… je l’ai toujours aimée, vous le savez bien ! Maintenant elle est perdue pour moi à jamais, et cela à cause de ma lâcheté !

— Mais, mon pauvre enfant, est-ce qu’on pouvait s’attendre à ce miracle… ou mieux à cette guérison miraculeuse ?

— N’importe ! j’ai été lâche, lâche… Oh ! je mérite bien ce qui m’arrive !

— Mais l’autre, Hortense…

— Hortense ! Fernand éclata d’un rire d’amère ironie.

— Quoi ! tu ne l’aimes pas ? demanda M. Drolet.

— Je ne sais pas !

— Tu ne sais pas ?

— Non… Je l’estime… je ne la hais pas. Mais l’aimer comme j’aime l’autre encore ? non, cela ne se peut pas… cela ne se pourra jamais !

— Mais alors que vas-tu faire ? interrogea Mme Drolet avec anxiété.

— Rien. Je vais rester garçon. Je ne me marierai pas. En marier une autre que Lysiane, je serais malheureux… plus malheureux encore !

— Tes promesses à Hortense ! Tes engagements ?

— Je briserai tout cela ! s’écria avec une sorte de rage Fernand. D’ailleurs je vais partir… je ne veux plus vivre à Montréal.

— Prends garde de devenir fou, mon garçon ! dit gravement le père.

— Fou ? devenir fou ? mais ne voyez-vous pas que je le suis déjà ? Oui, je suis fou ! Oh ! quand j’y pense, ce que j’ai été lâche !

Après avoir prononcé ces derniers mots il s’enfuit à sa chambre.

Pendant dix jours Fernand refusa de sortir de la maison. Il passait ses journées à marcher fiévreusement dans l’étude de son père, quand celui-ci était à sa besogne quotidienne sur la rue Saint-Jacques. Et le pauvre garçon maigrissait à vue d’œil, il pâlissait affreusement, il paraissait en faire une maladie mortelle.

Très souvent Mme Drolet l’entendait appeler à toute voix :

— Lysiane ! Lysiane !

Et ce foyer, qui jusque-là n’avait connu que la joie, s’abimait dans la douleur et la souffrance.

Le père et la mère de Fernand se désespéraient tout autant que leur fils. Que faire ?

M. Drolet eut un jour une idée ; s’il était possible de faire revivre l’amour de Fernand pour Hortense. Car il croyait sincèrement que son fils avait aimé l’ouvrière, qu’il l’aimait encore, mais que cet amour s’était temporairement effacé devant les remords qui assaillaient l’esprit du jeune homme. Quoi ! il pourrait suffire de la vue d’Hortense pour que Fernand vit se dissiper le voile sombre qui lui dérobait l’image de l’ouvrière. Dans les cas graves et désespérés on tente tous les remèdes. M. Drolet résolut d’essayer celui-là.

Il se rendit à la pension de la jeune fille qu’il trouva tout aussi malheureuse que son fils.

Elle, en voyant le père de Fernand, ébaucha un sourire pâle et dit :

— Monsieur, soyez le bienvenu dans ma pauvre chambre.

Et sans plus elle ajouta :

— Vous venez me demander, de la part de votre fils de renoncer au bonheur qu’il m’a promis, n’est-ce pas ?

— Non, mademoiselle, vous interprétez mal ma visite. Je suis venu vous demander de sauver mon fils du désespoir.