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LA VIERGE D’IVOIRE

— Il fit sa déclaration et voulut se retirer.

— Quel est votre nom ? demanda l’officier en charge.

— Danjou… Philippe.

— C’est bon, vous pouvez vous retirer.

On fit des recherches pour retracer la mère sans cœur qui avait abandonné son enfant, mais inutilement. L’enfant fut confié aux Sœurs Grises de la rue Guy.

On le baptisa sous le nom de Philippe Danjou.

Cinq ans après il fut adopté par la femme d’un tavernier de Saint-Cunégonde. Le couple était sans enfant, et la femme pensa que ce petit garçon pourrait retenir le mari qui avait déserté presque son foyer. En effet, le tavernier n’entrait chez lui que pour dormir, et combien de nuits encore passait-il hors de sa maison !

L’enfant, assez joli, très intelligent et d’une nature douce et joyeuse, parut en effet rattacher l’homme à son foyer. Plus tard, quand il fut arrivé à l’âge de dix ans, il fut placé dans un collège. Très studieux, il commença de s’instruire, et durant six ans il fut presque admiré de ses professeurs. Il possédait de grands talents et faisait prévoir qu’il se taillerait une large situation dans le monde. Mais survint la mort de sa mère adoptive, et cet événement fut pour le jeune homme le plus grand malheur.

Car, une fois seul dans la vie, le tavernier se jeta dans la débauche. Il oublia son enfant adoptif, vendit sa maison et ses meubles et se mit en pension. Il buvait énormément et se livrait aux dépenses les plus extravagantes, si bien qu’il alla à la banqueroute.

Un jour, il disparut sans laisser d’adresse.

Philippe Danjou qui atteignait dix-huit ans, se trouva tout à coup seul et sans protecteur. Il fut contraint d’abandonner le collège pour gagner sa vie. Il chercha d’abord une place dans les bureaux d’affaires, et ce fut avec beaucoup de peine qu’il parvint à trouver un emploi auprès de deux avocats associés ; et encore cet emploi n’était-il que temporaire. Les avocats n’avaient besoin de cet employé que pour trois mois environ. N’importe ! Philippe accepta la place en attendant mieux.

Une fois ces trois mois écoulés, Philippe se remit en quête d’une position, mais n’ayant aucune personne influente pour le recommander, il ne réussit pas à se placer. Pour ne pas crever de misère il fit toutes les besognes : il travailla sur le port au déchargement des navires, dans les chantiers de construction, se fit terrassier, remplit les fonctions de garçon d’hôtel. Mais il avait horreur de ces métiers, non pas que le travail par lui-même fût déshonorant, mais parce qu’il coudoyait tous les jours une classe d’hommes avec lesquels il n’était pas fait pour vivre. Il désirait donc ardemment se créer une situation sociale plus élevée. Mais ce n’était pas facile, si peu facile qu’il lui fallut trois années de recherche pour enfin trouver un poste dans l’administration d’une compagnie d’assurance. On le plaça à la correspondance. Il fut actif, docile et ponctuel. Mais un jour il arriva qu’une lettre chargée disparut du courrier qu’on avait apporté. Ce courrier qu’on avait posé sur un pupitre en attendant que le préposé au dépouillement des correspondances fut arrivé. Le pupitre de cet employé se trouvait voisin de celui de Philippe Danjou. Durant quelques minutes Philippe était demeuré seul dans la pièce affectée aux employés de la correspondance. Aussi lorsqu’on eut découvert que cette lettre chargée manquait, les soupçons tombèrent-ils sur le pauvre garçon.

Il se défendit… Hélas ! telle est notre société aveugle et stupide que plus l’on crie son innocence, plus l’accusation pèse sur l’innocent et plus la culpabilité semble évidente. Philippe eut beau clamer son innocence, plaider non-coupable, les soupçons demeurèrent. On fit plus : le directeur et un officier de police appelé en toute hâte voulurent induire le jeune homme à avouer son crime !