sur son invitation et peut-être plus encore par les instances empressées de Mrs Whittle, Sir James avait accepté, pour la durée de son séjour dans la capitale du Canada, l’hospitalité du major qui, tous les jours, donnait réception en l’honneur du célèbre bretteur.
Spinnhead, d’ailleurs, était un personnage remarquable sous plus d’un aspect. C’était, comme l’avait pensé Aramèle, le beau fanfaron qui faisait grand cas de sa propre renommée, et non seulement de cette renommée qu’il avait su acquérir par l’art de manier la rapière, mais aussi et surtout d’une renommée venue de ses galanteries innombrables précieusement inscrites aux pages de ses aventures, aventures survenues tant à la cour d’Angleterre que sur tous les continents qu’il avait traversés. Oui, Spinnhead était l’un de ces beaux Don Juan qui, à cinquante ans et même au delà, s’estiment encore les favoris de la femme mondaine. Mais Spinnhead, fort heureusement, ne portait pas son âge, et il demeurait toujours d’une fort belle taille et d’un physique très agréable. Soit par une nature prodigue, soit par artifice, les traits de son visage restaient tout jeunes et on ne lui eût donné tout au plus que trente-cinq ans. Toutefois, en écoutant les ouï-dire, on était porté à attribuer aux artifices la belle jeunesse de Spinnhead, artifices qui jouaient le grand rôle : on se chuchotait à l’oreille que le digne spadassin donnait à son masque autant sinon plus de soins que ces jeunes femmes très élégantes et très jolies qui débutent à la cour, et qui entendent se faire remarquer des plus galants et des plus glorieux gentilshommes. Ajoutons que Spinnhead avait pour lui aussi la nature, car il avait l’avantage de posséder une bouche de jeune fille avec des lèvres toujours rouges — probablement de fard — et avec de superbes dents, petites, aiguës, bien rangées, éclatantes d’une blancheur d’ivoire. Et ces lèvres avaient acquis ce sourire légèrement ironique et dédaigneux qu’ont ces belles jeunes femmes qui savent avoir conquis, par leurs charmes et leur grâce, toute la fleur de la gentilhommerie.
Voilà qui en dit long déjà du fameux escrimeur, et, pourtant, ce n’est pas tout. Que le lecteur nous pardonne cette longue esquisse de ce personnage : mais nous la croyons nécessaire parce qu’il devient subitement un héros et qu’il tente d’éclipser notre capitaine Jacques Aramèle.
Sir James, donc, dédaignait de porter la perruque du temps, parce qu’il avait mieux : une superbe chevelure très longue, d’un châtain remarquable, artistiquement ondulée au fer chaud par les soins de son valet de chambre. Ce valet n’était autre qu’un ancien perruquier de la cour du roi George II, perruquier doublé d’un bretteur et qui, avec les fonctions de valet de chambre, cumulait celle d’entraîneur. Tous les jours, en effet, le valet et le maître faisaient des armes pour s’entretenir la main. Avec cette chevelure artistique Sir James Spinnhead possédait, partant des tempes et descendant jusqu’au lobe des oreilles, les plus beaux favoris du monde ; et il les portait à une époque où les favoris n’étaient guère en faveur, car on n’en découvrait rarement que par-ci, par-là et seulement sur des masques rustiques. Mais il faut dire que Sir James était un excentrique, et peut-être même un excentrique de très basse extraction, puisqu’on ne savait rien de précis sur son origine, aussi ne voulait-il pas faire comme tout le monde. Et si Sir James était vraiment de basse et d’obscure naissance, il l’avait oublié : il croyait sincèrement que l’épée et le roi l’avaient anobli d’une noblesse qui en valait bien d’autres. Sur ce point la médisance et la calomnie ne l’affectaient pas, il se contentait de sourire narquoisement et de flatter doucement ses splendides favoris, car il y tenait à ses favoris et positivement… Pour cause ?… Un de ses amis intimes affirmait que toutes les bonnes fortunes de Sir James auprès de la gent féminine lui avaient été conquises par ses favoris, qui étaient d’un châtain un peu plus clair que ses cheveux, et si doux au toucher que maints doigts de femme y avaient trouvé à s’y promener des jouissances exquises !
Une autre qualité de Sir James Spinnhead — qualité physique encore — c’était sa belle vigueur corporelle et sa santé, vigueur et santé qu’il savait entretenir et ménager par un régime de mets choisis et de liqueurs les plus fines. Et ces mets et liqueurs étaient strictement absorbés aux mêmes heures et aux mêmes doses.
Intellectuellement ce n’était pas un imbécile, et il n’était nullement un encombrement dans les salons. Doué d’une grande mémoire, armé d’une pensée souple, favorisé par une facilité extraordinaire de la parole, il savait causer de tout avec une grâce parfaite et une assurance prodigieuse. Tou-