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LA GUERRE ET L’AMOUR

vices. Le soir, avant la venue de l’obscurité, il sarclait les légumes, arrosait les fleurs, ratissait les allées, et, d’une façon générale, voulait sa part de tous les travaux de la jeune fille. Il l’aidait encore à traire les vaches, il apportait les seaux de lait chaud à la laiterie, versait ce lait dans l’écrémeuse qu’il portait ensuite à la fontaine pour la faire tremper dans l’eau froide, au bout d’une corde qu’il attachait à un pieu planté dans le sol. Les jours qu’on faisait le beurre, il battait la crème dans la baratte, et Louise n’avait qu’à le regarder faire ou à se livrer à d’autres occupations.

Dans la maison, Max savait aussi se rendre utile et obligeant, il lavait les planchers, faisait la lessive, balayait, époussetait, se prêtait à tout. Il aimait d’ailleurs à s’exercer à tous les travaux féminins pour lesquels il possédait des aptitudes, et il réussissait dans tout ce qu’il entreprenait. Combien de fois il avait surveillé le pot-au-feu, pétri le pain, pelé les pommes de terre, épluché les légumes, lavé les plats et la vaisselle, frotté les ustensiles et le fourneau. Ah ! le fourneau… Il se réservait absolument, péremptoirement cette tâche. Il n’entendait pas que Louise, ou même dame Dumont, se mit les mains dans le noir. Il en était de même pour toutes les besognes auxquelles la jeune fille aurait pu salir ses mains ou écorcher ses doigts. Il disait :

— Les mains de ma sœur blanche sont trop belles et trop fines, elles se gâteront. Que ma sœur laisse Max faire ce travail.

Chaque fois que Louise devait mettre les mains à la terre, chose qu’elle ne détestait pas d’ailleurs, pour sarcler le jardin ou pour remuer le sol qui se durcissait au pied des plantes, Max s’imposait.

— Max va faire ça pour sa sœur, disait-il.

Pour lui être agréable, Louise le laissait faire.

Trouvant la jeune fille belle, il avait voulu qu’elle habitât dans un cadre où cette beauté pût s’épanouir dans toute sa grâce et sa splendeur. Il eut une idée et tout de suite employa tous ses loisirs à l’exécution de cette idée. Voici ce qu’il avait trouvé, puis édifié.

Entre la maison, qui se trouvait adossée à la forêt, et le lac s’étendait un terrain vague et mousseux où l’herbe ne venait que par petites touffes éparses et maigres. Dans ce terrain Max avait dessiné, avec un goût surprenant et une parfaite symétrie, un jardin orné à son centre d’un joli parterre, en forme de triangle, traversé par des allées de sable roux. De chaque côté du parterre il y avait un potager faisant rectangle et encadré d’une belle allée, du même sable roux. Des ronds de fleurs s’étalaient entre les allées, le triangle et les deux rectangles. En plein milieu du triangle, que couvrait une herbe courte et drue, Max avait posé une énorme corbeille, faite de joncs tressés, de laquelle émergeait une gerbe de roses sauvages aux senteurs exquises, et la corbeille reposait sur le bloc de pierre rouge, d’un rouge de porphyre. Puis, tout autour de l’étang, l’Indien s’était ingénié à tracer des allées plantées de jeunes saules, d’aubépines et de cerisiers sauvages. Plus tard, lorsque le gros du travail des champs eut été accompli et qu’il put se donner plus de loisirs, il fabriqua des bancs rustiques, qu’il disposa sur le pourtour de l’étang, les flanquant de pots de fleurs, des pots de sa fabrication en terre cuite et vernissée. Au fond de la clairière, de l’autre bord de l’étang, il construisit une tonnelle dans l’ombrage des cèdres et la décora de liserons et de vignes vierges. Et tous les jours encore il cherchait et trouvait une décoration nouvelle.

Louise et ses parents s’étonnaient de plus en plus des aptitudes et facultés du jeune Indien, et se demandaient où et comment il avait acquis cet art qu’on ne lui connaissait point avant ce jour. C’était un talent naturel, et que le Micmac ne pouvait expliquer. Il est vrai qu’à Louisbourg et aux îles, surtout, où il avait accompagné le capitaine dans les trois ou quatre expéditions, il s’était grandement extasié devant la beauté des jardins, dont il avait admiré le dessin et l’harmonie, et nul doute qu’il en gardait le souvenir.

Plus Louise se plaisait aux jolies choses qu’il imaginait, plus il torturait son imagination pour en découvrir de nouvelles qui surpasseraient les premières. L’amour qu’il cultivait, si l’on peut dire, pour la jeune fille et l’espoir de l’avoir un jour pour femme le rendaient infatigable. Un sourire de Louise, une exclamation de joie, un simple regard ravi devant ses créations horticoles le récompensait déjà de ses peines. S’il l’avait pu, il lui aurait bâti un paradis avec toutes les merveilles imaginables.

Cependant, ce jardin magnifique, ce beau lac d’émeraude assoupi sous le soleil, ces allées de sable roux toutes scintillantes, comme semées de paillettes d’or et de rubis, ces fleurs multicolores d’un doux parfum, ces verdures tantôt sombres, tantôt pâles, ces plantes aux nuances variées, et tout le décor en