— Qu’avons-nous fait ? demande Corpron.
— Nous avons, répondit Bigot avec un sourire froid, envoyé instructions aux marchands de la cité d’influencer Ramezay pour qu’il cède.
— Ramezay est têtu, monsieur l’intendant, gronda Deschenaux, il ne cédera pas facilement. Mais j’ai un projet…
— Parle, ami.
— Il importerait, au cas où les marchands ne pussent influencer le commandant de la place, que celui-ci reçût un message de livrer la capitale…
— Un message de livrer la capitale ? fit Bigot avec surprise.
— Oui, sourit ironiquement Deschenaux, un message venant de Monsieur de Lévis.
— Mais cela est impossible !
— Non… puisque le message viendrait de nous, mais portant la signature de Lévis et d’une écriture semblable à la sienne !
Tous les regards se tournèrent vers Descheneau avec admiration. Lui, toujours sombre et insensible en apparence à cette marque d’admiration, poursuivit :
— Monsieur de Ramezay serait instruit ce soir-même qu’un courrier est parti cet après-midi pour se rendre auprès de Monsieur de Lévis, pour en rapporter l’ordre de rendre ou de ne pas rendre la ville.
— Mais cet ordre serait de rendre ? demanda Bigot.
— Sans doute. Donc, j’attellerais de suite une berline, et, pour que nul de nous ne soit jamais soupçonné, j’installerais dans cette berline une jeune femme hardie…
— Pourquoi une jeune femme ? interrogea Bigot, très curieux.
— Parce qu’une jeune femme, hardie et jolie, sera moins susceptible de se voir arrêtée en chemin par on ne sait quels espions ou rôdeurs.
— Poursuis, commanda Bigot.
— Cette jeune femme se rendrait aux Trois-Rivières seulement, d’où elle reviendrait en moins de trois jours avec le message de Monsieur de Lévis. Monsieur de Ramezay n’y verra que vide et vent !
Et Deschenaux sourit atrocement.
— Tu sais donc, demanda encore Bigot, comment t’y prendre pour manigancer toute cette histoire de message ayant la signature de Lévis et fait de son écriture ?
— Je vous l’ai dit, Monsieur de Ramezay n’y verra que du feu.
— Oh ! Oh ! s’écria l’intendant tout ravi, vous avez donc un plan déjà bien médité.
— Et bien mûri, oui, monsieur.
— C’est merveilleux ! s’écria Cadet.
— Naturellement, ajouta modestement Deschenaux, mon plan n’est bon qu’en autant qu’il recevra votre approbation, messieurs.
— Mais c’est tout approuvé, tout approuvé, ami Deschenaux ! clama Cadet en vidant une coupe d’eau-de-vie.
— Mais quelle sera cette jeune femme hardie ? interrogea Péan.
Deschenaux le regarda un moment avec attention, cligna un œil sournois vers l’intendant, puis répondit :
— La vôtre, monsieur !
— Ma femme ?
— Parbleu ! s’écria Bigot en riant. Madame Péan n’est-elle pas jeune, hardie et jolie ?
— Mais je l’accompagnerai, déclara Péan.
— Si vous voulez, se mit à rire Deschenaux. Du reste, j’avais aussi songé à lui donner une escorte de quatre cadets et de quatre gardes.
— Eh bien ! mon cher Péan, que décides-tu ? interrogea Bigot.
— Mais j’accepte… Il ne sera pas dit que j’aurai exposé ma femme à quelque danger que je n’aie partagé ! À moins sourit-il narquoisement, que monsieur l’intendant…
— Monsieur l’intendant, interrompit Bigot, te commande donc, mon cher Péan d’accompagner ta femme.
— Alors, c’est ma femme qui devra apporter le message à Monsieur de Ramezay.
— Oui, répondit Deschenaux ; ce message dans la main d’une femme aura, ce me semble plus de vraisemblance !
— Allons ! c’est entendu ! consentit Péan.
— Et vous, messieurs, demanda Deschenaux ?
— Oui, oui, approuvèrent les autres… le message ! Le truc en vaut bien un autre !
On se mit à rire à la ronde.
— Mais, intervint Bigot en se levant, il semble que nous oublions un peu notre ami Flambard !
— Oh ! soyez tranquille, monsieur l’intendant, ricana Deschenaux ; moi, je n’oublie pas Flambard !
Et, sans plus, il sortit vivement.