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Page:Féron - Le drapeau blanc, 1927.djvu/10

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LE DRAPEAU BLANC

— Il aurait dû agoniser et trépasser plus tôt ! cria Cadet avec haine.

— Silence, ami Cadet ! commanda Bigot d’une voix autoritaire. Ainsi donc, ami Foissan, c’est Monsieur de Vaudreuil qui a, de lui-même et sur cette unique recommandation du marquis de Montcalm, fait le choix de Monsieur de Lévis ?

— Pas tout à fait, monsieur l’intendant. Il a pris les avis de Monsieur de Montreuil et de Monsieur de Repentigny, qui se trouvaient réunis avec quelques autres officiers que je n’ai pu reconnaître.

— Vous étiez là ?

— Presque… une mince cloison me séparait de la pièce où avait lieu cette délibération.

— Ah ! ah ! Mais alors on a dû envoyer un courrier à Monsieur de Lévis ?

— Oui, monsieur l’intendant ; ce courrier doit être en route à l’heure qu’il est.

— Tu connais ce courrier ?

— Un peu… c’est le grenadier Flambard.

Flambard !

Ce nom produisit un choc.

Tous les personnages de cette scène, à l’exception de l’intendant, furent debout, la main posée sur le pommeau des épées, terribles.

Bigot sourit, fit un geste et dit :

— Asseyez-vous, messieurs ! Et toi, mon ami, tu peux te retirer. Mais demeure à portée, nous pourrons avoir besoin de tes services.

Il fit un signe à Deschenaux, qui alla reconduire l’italien à la porte du cabinet.

Avant de refermer la porte, Deschenaux souffla à Foissan ces paroles :

— Descends à l’office et fais-toi servir à dîner ; car il se peut que tu partes bientôt en mission !

Foissan sourit et s’en alla.

— À présent, messieurs, reprit Bigot sur un ton sévère — et l’on eût dit qu’une sourde colère grondait en lui — il est inutile de songer à mettre l’un des nôtres à la tête de l’armée, tant que le Chevalier de Lévis n’aura pas été écarté.

— Il faut empêcher que lui parvienne ce message de Monsieur de Vaudreuil, gronda Deschenaux.

— En effet, approuva Bigot. Nous y verrons tout à l’heure. Pour le moment, il y a plus pressé. Messieurs, prêtez bien l’oreille et vous me direz votre approbation. Ce soir, il y aura conseil chez Monsieur de Vaudreuil ; ce sera pour décider si l’armée doit demeurer dans ses retranchements ou retraiter vers la rivière Jacques-Cartier. Il faut empêcher cette retraite, comme vous le pensez bien, afin qu’elle reste en son camp comme en une souricière où Messieurs les Anglais en auront vite raison. Sans chef réel et de valeur, elle n’est qu’un jouet. Lévis, je le connais, est un homme de talent, un militaire capable de relever le moral de l’armée et d’en faire une massue contre l’Anglais. Mais Lévis est à Montréal, et il lui faudra au moins cinq jours pour rejoindre l’armée dans son camp.

— Mais si elle retraite vers Jacques-Cartier ? demanda Péan.

— Elle ne retraitera pas, parce que je ne veux pas, parce que nous ne voulons pas ! rugit Bigot en frappant la table de son poing. Parce que nous voulons qu’elle soit rasée, mise en miettes par l’Anglais ; parce que nous voulons que Monsieur de Ramezay rende la ville demain, parce que nous voulons tous reprendre le chemin de la France, et parce que, enfin, le roi est fatigué du pays, qu’il n’envoie plus de secours et qu’il sera fort content de se voir débarrasser d’un fardeau inutile et ruineux. Voilà, messieurs ! Or, il se trouve un homme capable de ruiner tous nos projets…

— Lévis ! prononça Deschenaux.

— Justement.

— Eh bien ! dit Pénissault, il importe d’arrêter ou d’intercepter le message que lui envoie Vaudreuil !

— C’est-à-dire, sourit Bigot, qu’il faudra arrêter Flambard !

Tous frissonnèrent à ce seul nom.

— Il faut l’arrêter coûte que coûte ! prononça encore Deschenaux d’une voix caverneuse.

— As-tu sous la main des hommes capables d’accomplir cet exploit ?

— Je les ai, répondit Deschenaux avec assurance.

— Fossini ? sourit Bigot.

— Et d’autres…

— Eh bien ! va, ami Deschenaux, il n’y a pas un instant à perdre.

— Pardon, monsieur l’intendant, reprit Deschenaux, pour que tout réussisse à souhait, il ne faut pas oublier une chose importante : c’est-à-dire les moyens à prendre pour faire rendre la ville !

— C’est juste, approuva Cadet, il ne faut pas oublier ce point très important.

— Nous y avons déjà songé, dit Varin.