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LE DRAPEAU BLANC

cher une voiture, une berline, et va me conduire auprès de madame Péan !

— Je le ferais volontiers de te conduire, et ne ris pas, de Loys.

— Je suis sérieux, ricana de Loys, conduis-moi !

Il raillait, et de Coulevent le vit bien. Il répliqua : « Tu veux me narguer, vicomte, et je regrette de ne pouvoir te prendre au mot. »

— Et pourquoi ?

— Parce que madame Péan, en ce moment même, est tout probablement partie pour un voyage.

— Ah ! où va-t-elle ?

— Au fait, mon cher, tu ne sais pas ce qui se passe. Et baissant la voix, de Coulevent ajouta :

— On a intrigué de nouveau et c’est vraiment drôle, tu vas voir. Mais peut-être n’as-tu plus d’intérêt à entendre parler de nos amis ?

— Beaucoup d’intérêt, au contraire, de Coulevent. Va donc, tu m’intéresses prodigieusement. D’ailleurs, en attendant que vienne le chirurgien, je m’ennuie. Continue, tu m’amuses, te dis-je.

— Comme tu le sais, mon ami, on est tous dégoûtés de ce pays, et toi comme moi ; on est tous ardemment désireux de repasser en France. Du reste, le roi ne tient plus le moindrement à cette colonie, et il ne songe qu’à la laisser aux Anglais contre certains avantages. Mais il se trouve ici des entêtés, des enthousiastes, des fous qui s’imaginent faire plaisir au roi en disputant le pays aux Anglais. Alors, monsieur l’intendant veut donc faire pression sur Ramezay pour l’amener à arborer le drapeau blanc demain, ou après-demain au plus tard. Mais il peut arriver que Ramezay ne se rende sans un ordre du chef de l’armée.

— Monsieur de Montcalm ? Mais on dit qu’il est mourant.

— Oui, et monsieur de Vaudreuil, paraît-il, a donné ordre à Ramezay de tenir la ville aussi longtemps que possible.

— Eh bien ! il la tiendra, de Coulevent !

— Voilà bien ce que redoute l’intendant. Aussi, vu que Monsieur de Montcalm est agonisant, Vaudreuil vient de dépêcher un courrier à Monsieur de Lévis pour l’inviter à venir prendre le commandement de l’armée.

— Ah ! ah ! monsieur de Lévis sauvera la ville, sourit de Loys.

— Tu te trompes, mon cher, la ville va capituler avant que Monsieur de Lévis n’ait pris le commandement.

— Allons donc ! fit de Loys avec un sourire sceptique.

— Je te le jure. Vois-tu, on a inventé un truc : un courrier apportera à Monsieur de Ramezay l’ordre de capituler… mais un ordre signé de la main de Monsieur de Lévis.

— Jamais Monsieur de Lévis ne donnera cet ordre, s’écria de Loys avec conviction.

De Coulevent se mit à rire.

— Il le donnera, mais à son insu, reprit de Coulevent avec un sourire mystérieux.

— Décidément, mon cher, tu m’intrigues outre mesure !

— N’est-ce pas ? Écoute : Madame Péan va aux Trois-Rivières, accompagnée de son mari, dans l’une des berlines de l’intendant. Là, elle sera chargée d’un message, et elle repartira aussitôt pour revenir à Québec. Comprends-tu ?

— Non, dit de Loys qui avait tressailli.

— Mais c’est simple comme tout, sourit de Coulevent : ce message portera la signature de Monsieur de Lévis et il ordonnera à Monsieur de Ramezay de livrer la ville aux Anglais !

— Ah ! diable, le truc est magnifique, se mit à rire de Loys.

— C’est plus que magnifique ! Et, naturellement, tu comprends que la ville, une fois livrée, nous, nous partons tous pour la France ! Et Vive la France !…

— Vive la France ! cria à son tour de Loys. Mais pas si vite, mon ami, ajouta-t-il, nous ne sommes pas partis encore, et la ville tient. Et puis, le bon truc de l’intendant pourrait bien rater, en imaginant, par exemple, que Monsieur de Lévis arrivât ici avant le message. Car n’as-tu pas dit qu’un courrier avait été dépêché au Chevalier ?

— Si fait. Et veux-tu savoir le nom de ce courrier ?

— Dis.

— Flambard !

— Oh ! oh ! s’écria de Loys avec une flamme de joie dans ses prunelles fiévreuses, tu as dit Flambard ? Mais, mon ami, si tu connais Flambard, tu aurais dû penser que le truc trouvé par l’intendant ne peut réussir. Il l’a inventé trop tard ! Il fal-