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LE DRAPEAU BLANC

lait le trouver avant que Flambard fût parti ! Car Madame Péan, avec sa berline, n’aura pas atteint les Trois-Rivières, que Flambard sera à Montréal, que Monsieur de Lévis se sera mis en route pour Québec et qu’il y arrivera avant le retour de Madame Péan avec son message ! Non, non, de Coulevent… on s’y est pris trop tard !

De Coulevent ricana.

— Si tu m’avais laissé finir, dit-il.

— Ah ! tu n’as pas fini de me dévider l’écheveau de ton intrigue ?

— Tu vas voir. D’abord, la mission de Flambard a été de suite connue. L’ami Deschenaux, qui a le nez en l’air et qui demeure sans cesse aux aguets, ayant été informé de la chose, a de suite lancé aux trousses de Flambard des agents pour arrêter le spadassin et l’empêcher par tous les moyens d’accomplir sa mission.

— Quels sont ces agents ?

— Des gardes de Monsieur l’intendant, mais des gardes résolus, que commande Foissan.

— Fossini ?

— Si tu veux.

— Je leur souhaite bon succès, ricana le vicomte. Non, vraiment, ils ne savent pas ce qu’est Flambard ! Ah ! ah ! mon cher de Coulevent, je te le redis, vous vous y êtes pris trop tard ; Flambard déjouera tous vos trucs encore une fois !

Cet entretien fut interrompu par la garde-malade, qui vint annoncer au vicomte qu’une calèche venait le prendre pour le transporter aux Hospitalières, selon qu’il en avait exprimé le désir.

De Loys exulta… il allait revoir Marguerite de Loisel !

Il fit rapidement ses adieux à son ami. L’instant d’après, quatre de ses soldats le transportaient dans la voiture.

Le Père Jésuite avait rempli avec succès la mission dont l’avait chargé le vicomte. Marguerite de Loisel n’avait pu refuser de soigner ce blessé inconnu… cet inconnu qui semblait la connaître, elle. Elle avait bien été tentée de demander le nom de ce blessé ; mais une sorte de gêne l’avait retenue. Aussi, fut-elle très intriguée et très désireuse de voir ce blessé qui avait tant insisté pour être confié à ses soins.

Lorsqu’on apporta sur une civière le vicomte, que le trajet de sa baraque aux Hospitalières avait failli tuer, Marguerite, le reconnaissant poussa un grand cri, et elle voulut s’enfuir comme effrayée par une vision monstrueuse.

— Mademoiselle, gémit le vicomte, ne me tuez pas tout à fait !

Elle le regarda, surprise, émue malgré elle. Elle le vit livide, frissonnant, agonisant. Elle vit des larmes pleins ses yeux rougis par un commencement de fièvre, et elle crut deviner une telle transformation dans ce jeune gentilhomme, dont le nom avait été synonyme de débauche, que son cœur se serra de pitié.

— Marguerite, bégaya le vicomte, écoutez-moi d’abord, vous me tuerez ensuite ! Je suis prêt à mourir, m’étant confessé aujourd’hui.

La garde-malade se rapprocha, presque timidement.

— Avez-vous, demanda-t-elle la voix tremblante, quelque chose à me communiquer ?

— Oui, quelque chose de grave… il s’agit du salut de la capitale de la Nouvelle-France !

— Que savez-vous, monsieur ?

— C’est une trame dont on m’a dévoilé tous les fils ce soir.

— Une trame ! Pensez-vous que je pourrai être utile à quelque chose ?

— Vous pourrez faire échouer le complot qu’on a ourdi !

— Parlez, monsieur, puisque vous avez confiance en moi !

— Si j’ai confiance en vous, Marguerite… sourit le blessé ; mais c’est en vous que j’ai mis ma dernière confiance ! Mais écoutez… je sens que la vie s’en va… ce trajet en calèche… le froid de la nuit…

Il fut secoué par un violent accès de toux, et du sang rougit ses lèvres blêmes.

Vivement et doucement de son mouchoir Marguerite essuya les lèvres du jeune homme, et elle dit :

— Parlez vite, puisque c’est si grave ce que vous avez appris !

Bien difficilement le vicomte fit part à la garde-malade de la conversation qu’il avait eue avec de Coulevent ; et, aux dernières paroles, qui lui avaient coûté un effort surhumain, il s’évanouit.

Marguerite, éperdue, appela immédiatement deux sœurs infirmières. Elle leur confia qu’elle devait s’absenter de suite pour une heure ou deux, et leur demanda de donner tous leurs soins au vicomte jusqu’à son retour.