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Page:Féron - Le drapeau blanc, 1927.djvu/26

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LE DRAPEAU BLANC

En moins d’une heure Foissan s’était équipé. Puis, avec douze gardes bien choisis par Deschenaux, bien résolus et bien armés, il s’était jeté ventre à terre sur le chemin de la Lorette, croyant que le spadassin était déjà en route pour Montréal. Il était, à ce moment, environ sept heures et demie.

Donc, Foissan et ses gardes étaient partis à sept heures et demie. Flambard, à son tour, avait pris la route de la Lorette entre huit heures et demie et neuf heures, et Jean Vaucourt, vers les neuf heures et demie. La partie se trouvait donc engagée entre ces trois hommes à une heure d’intervalle chacun. Mais ce n’était pas tout : entre le départ de Foissan et celui de Flambard, une magnifique berline attelée de quatre vigoureux chevaux avait aussi pris la route de la Lorette, et il était huit heures. Cette berline portait Péan et sa femme, et elle était escortée de six gardes armés jusqu’aux dents. Enfin, un peu après dix heures, une seconde berline se mettait en route, mais une berline toute démantibulée, sonnant la ferraille à faire grincer des dents les trépassés. Dans cette voiture se trouvaient entassés le milicien Aubray avec sa femme et son enfant, la femme de Vaucourt et le petit Adélard et Rose Peluchet, la belle-sœur d’Aubray. Sur le siège du conducteur étaient assis le père Aubray et l’ancien mendiant Croquelin qui conduisait Pascal et Loulou. Mais comment se fait-il que la berline ne se trouvait pas escortée par les deux grenadiers Pertuluis et Regaudin ? Pardon !… ils étaient là les deux gaillards, mais non dans la berline… ils suivaient, à quelques toises en arrière, dans le cabriolet d’Aubray. Ils suivaient en chantant de joyeux refrains. Regaudin tenait les rênes, mais pas trop sûrement, car les deux compères demeuraient toujours ivres, à cause de certaine cruche que leur avait confiée le milicien et que Pertuluis conservait entre ses deux jambes, cruche qu’il ne manquait pas d’alléger de fois à autre par quelques rapides et fortes lampées.

Telle était donc la disposition de nos personnages à la veille de ce combat terrible qui allait se livrer d’une part, entre ceux qui complotaient la perte de la capitale, et, de l’autre, ceux qui travaillaient à son salut.


— V —

L’EMBUSCADE


Foissan et ses gardes atteignirent Saint-Augustin vers neuf heures et demie. Ils allèrent frapper à la porte d’un paysan qui, à un demi-mille au delà du hameau, tenait une sorte d’auberge.

Le paysan était seul avec sa femme. Celle-ci était malade et mourante. Elle demeurait confinée dans une mansarde, toussant et gémissant sans cesse. Le paysan était un vieillard d’aspect misérable, brisé par les rudes labeurs de la terre. Il n’avait que deux fils, et ceux-ci faisaient partie des milices ; et le lendemain de ce jour, le pauvre vieux allait apprendre que l’un d’eux avait trouvé la mort sur les Plaines d’Abraham.

À la vue de cette troupe qui venait de s’arrêter devant sa porte, le paysan demeura interdit, et avant que Foissan n’eût le temps de prononcer une parole, il s’écria :

— Ah ! messieurs, je regrette bien de ne pouvoir vous loger ou vous nourrir ; je suis seul avec ma pauvre femme qui est là-haut bien malade.

— Rassure-toi, vieux, répliqua Foissan avec rudesse, nous ne voulons ni manger ni loger. C’est un renseignement que je désire te demander.

— Allez, monsieur, je vous écoute.

— N’as-tu pas vu passer un cavalier ce soir ?

— Un cavalier ? Non, monsieur. Depuis quelques jours les passants sont très rares.

Cette réponse parut fort désappointer Foissan. Il demeura un instant songeur.

Il se demandait :

— Est-ce que Flambard ne serait pas encore en route ? J’en suis très étonné ! Peut-être a-t-il attendu les décisions du conseil de guerre ? Si tel est le cas, il ne saurait tarder d’apparaître.

Puis il dit à voix haute au paysan :

— C’est bien, le père, c’est tout ce que je désirais savoir.

Il allait remonter à cheval pour continuer son chemin, quand le vieux le retint par ces paroles dites d’une voix tremblante et anxieuse :

— Monsieur, puisque vous venez de la ville, pouvez-vous me dire si les Anglais sont repartis ?