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LE DRAPEAU BLANC

dans un second saut vertigineux il attaqua ceux qui le menaçaient par derrière : un garde s’affaissa en poussant un cri de douleur.

— Bon ! ricana Flambard, deux gorges chaudes de refroidies ! Tantôt j’aurai bien la douzaine !

Le falot ne projetait qu’une très faible clarté, et les gardes et soldats qui entouraient le spadassin se mouvaient comme des ombres imprécises. Les deux premières victimes faites par l’épée de notre héros avaient paru les intimider. Ils avaient retraité de quelques pas, silencieux, mais toujours l’épée haute. Flambard exécuta un troisième bond… un violent claquement d’acier se produisit et une rapière s’échappa de la main d’un soldat qui, immédiatement, chercha refuge hors du cercle de lumière.

Mais avant que notre ami n’eût fait un autre volte-face pour attaquer d’un autre côté, un garde de Bigot réussissait à lui enfoncer dans le dos deux ponces de sa lame.

Flambard poussa un terrible juron, et il allait comme une furie se darder contre les gardes, quand sur la terrasse parut l’aubergiste qui cria :

— Holà ! l’ami, que faites-vous là ?

Flambard n’eut pas le temps d’apostropher vertement l’aubergiste, que le postillon murmurait vivement à ce dernier :

— Silence, maître Hurtubise, c’est monsieur Flambard !

— Hein ! monsieur Flambard ?… Par le ciel !

L’aubergiste trembla d’épouvante. Puis, il se rua vers la porte-fenêtre et revint la minute d’après avec un flambeau dont la lumière, jointe à celle du falot, éclaira en plein la scène du combat.

Disons ici que les adversaires du spadassin étaient d’abord ces quatre gardes que Foissan avait jetés aux trousses de notre héros. Ceux-ci s’étaient arrêtés à la Pointe-aux-Trembles pour s’informer du passage de Flambard, et ils avaient rencontré dix soldats de Vergor qui, la nuit d’avant, avaient réussi à échapper aux soldats de Wolfe. Ces soldats étaient venus se réfugier à la Pointe-aux-Trembles pour y attendre les événements. Comme leur maître, ces soldats étaient dévoués à Bigot et ils étaient des amis des gardes de l’intendant. Aussi en se rencontrant tout à coup dans l’auberge cette nuit-là décidèrent-ils de fraterniser un moment. Or, c’est pendant qu’on vidait une tasse de vin que Flambard entra dans l’auberge à la recherche du postillon. Les gardes mirent de suite les soldats de Vergor au courant de leur mission, et de suite aussi il fut résolu de s’attaquer à Flambard à sa sortie de l’auberge. Ils se trouvaient donc quatorze hommes contre un seul, et ils auraient vite raison du spadassin. Furtivement ils quittèrent la grande salle de l’auberge. L’un des gardes s’empara du cheval de notre ami et alla l’attacher dans un bosquet du voisinage, puis toute la bande, cachée dans les ténèbres avoisinantes, attendit la sortie de Flambard. Naturellement, ce n’étaient pas tous des ferrailleurs de première force, et ils savaient tous le danger qu’il y avait à croiser le fer avec le spadassin. Aussi, n’avaient-ils pas songé un seul moment à faire de l’escrime avec le terrible batteur de fer ; leur seul dessein avait été de profiter de l’obscurité pour surprendre Flambard et le percer de coups avant qu’il n’eût eu le temps de faire jouer sa lame. Mais les soldats de Vergor, timides et peureux, n’avaient pas agi assez rapidement, et la rapide et foudroyante offensive du spadassin les avait déjà fort ébranlés, sans compter que deux des leurs gisaient inanimés sur le sol et qu’un troisième avait été désarmé de la belle façon.

Manquant déjà d’enthousiasme et de confiance en eux-mêmes, les soldats, à la vue de l’aubergiste qui venait éclairer davantage la scène, furent saisis de peur. Et à la seconde où Flambard fonçait contre eux, ils prirent la fuite et se perdirent dans les ténèbres. Mais les gardes de Bigot, qui n’étaient plus que trois, voulurent tenter la fortune des armes, et ils s’élancèrent sur Flambard pour le frapper par derrière.

— Alerte ! lui cria l’aubergiste.

Mais déjà le spadassin pirouettait, un choc d’acier se fit entendre, des étincelles jaillirent. Un des gardes jura, puis, avec un sourd grognement il s’écrasa sur le chemin en échappant son épée. Les deux autres gardes comprirent qu’ils n’étaient que deux pauvres jouets aux mains de l’effrayant bretteur. Ils lâchèrent pied et voulurent se jeter dans l’obscurité pour sauver leur peau. L’un réussit à esquiver la terrible rapière qui voltigeait comme un