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LE DRAPEAU BLANC

faisant, mettre au courant des nouvelles.

Les gardes de Foissan et les soldats de Vergor avaient de suite assiégé les deux grandes cheminées qui flambaient hautement et répandaient dans toute la salle une chaleur exquise. D’accortes servantes, avec le sourire aux lèvres, s’approchèrent pour prendre les ordres de ces « messieurs ».

— Servez, commanda Foissan, vos meilleures eaux-de-vie d’abord. Vous apporterez ensuite vos meilleurs vins, puis vous servirez un souper qui puisse nous rappeler que le monde a encore quelque chose d’attrayant.

Tandis que Foissan voyait à l’hospitalité de ses gens, l’aubergiste conduisait Péan et sa femme dans un grand salon du premier étage où, là encore, brûlait un bon feu.

— Je vous ferai servir ici même, dit l’aubergiste, et une de mes servantes se mettra à la disposition de Madame.

Il s’inclina respectueusement et s’en alla pour donner les ordres nécessaires.

Péan et sa femme se débarrassèrent de leurs fourrures et s’approchèrent du feu.

— Mon ami, murmura Mme Péan, allons-nous poursuivre notre chemin dès que nos chevaux seront reposés ?

— C’est bien mon intention, à moins que Foissan n’ait quelque nouvelle qui me fasse changer d’idée. Je parie que vous aimeriez mieux ce bon feu que le froid et le cahotement de notre berline.

La belle Mme Péan n’avait plus à ses lèvres rouges le beau sourire de l’instant d’avant. Ses sourcils s’étaient rapprochés, ses traits s’étaient légèrement contractés et ses lèvres se pinçaient. Elle promena autour de la pièce un regard choqué et méprisant et gronda avec une mauvaise humeur très marquée :

— Ne me parlez pas de ce bon feu, mon ami, car je trouve qu’il est atroce de venir héberger en un pareil taudis !

Péan ricana sourdement.

Mais maître Hurtubise, lui, eût sauté en l’air d’entendre une si belle voix dire des choses affreuses de son intérieur, lui qui avait cru offrir un vrai luxe à ses distingués voyageurs.

Pour être juste, ce salon possédait un fort bon air avec ses peintures riantes, son mobilier recherché, ses tapis moelleux, ses tentures de belle venue. Un beau et grand lustre de cuivre soigneusement frotté, allumé de vingt-quatre bougies roses, répandait sur toutes ces belles choses une lumière profuse qui donnait à toutes un éclat merveilleux. Mais bah ! qu’est-ce que tout cela valait comparé aux richesses artistiques, au grand faste, à la munificence extraordinaire où cette jeune et brillante reine était accoutumé de vivre ? Ah ! oui, comme elle l’avait dit tantôt, ce salon était pour elle une sorte de taudis.

Elle exprima encore sa mauvaise humeur par ces autres paroles :

— Et puis, si ce n’est pas une torture de voyager ainsi, alors que chez Monsieur l’intendant on s’amuse à s’étourdir !

— Ne récriminez pas, chère amie, reprocha Péan ; il n’en tenait qu’à vous de ne pas quitter la fête de monsieur l’intendant.

— Eh ! s’écria la belle femme avec un regard farouche à son mari, si vous n’aviez pas tant insisté pour que j’accomplisse cette stupide besogne !

— N’est-ce pas monsieur l’intendant qui a, plus que moi, insisté, parce qu’il croyait apparemment que vous seule pussiez accomplir avec succès cette mission très importante ?

— Ah ! si monsieur l’intendant a eu cette idée absurde, n’est-ce pas vous qui la lui avez inspirée ?

— Que dites-vous ? s’écria Péan en se fâchant. Devenez-vous si furieuse, perdez-vous tant la tête, parce que vous craignez que l’intendant ne fasse la cour à d’autres jeunes femmes de son entourage !

Il se mit à ricaner sardoniquement, puis ajouta :

— Par Notre-Dame ! vous devenez insupportable, ma mie !

— Ne m’outragez pas, Hughes, et ne profitez pas d’un moment où je me trouve seule avec vous !

Avec un geste de colère elle renversa un beau fauteuil. Certes, maître Hurtubise fût tombé de tout son haut de voir ainsi traiter son mobilier qu’il réservait aux gens de haute condition.

— La paix ! la paix ! commanda durement Péan en relevant le fauteuil, sinon je me verrai forcé d’user de mon autorité d’époux !

La belle Mme Péan gronda, rugit, piétina sur place devant la cheminée, puis s’écria, furieuse :